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« 13 Reasons Why » : le spleen adolescent au maximum

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Série phénomène du début 2017 sur Netflix, « 13 reasons why » fissure les codes du divertissement pour ados avec une noirceur frontale qui laisse KO. Portée par une mise en scène puissante, une bande-originale qui frôle la perfection (s’y côtoient Joy Division, Washed Out et Hot Chip pour ne citer qu’eux) et une flopée de jeunes comédiens attachants, cette adaptation du roman « Treize raisons » de Jay Asher dépeint les années lycée comme un énorme cauchemar, amplifié par l’hyper-connectivité.

A Liberty High, tout semble en apparence bien se passer avec ses beaux sportifs et ses pom pom girls au taquet. Mais voilà qu’Hannah Baker se suicide. Ses parents ne comprennent pas et un procès s’engrange entre eux et l’établissement scolaire. Ce qu’ils ignorent, c’est que circule une boite composée de 13 cassettes audios enregistrées par la défunte avant son acte mortel. Chaque cassette correspond à une personne et donne une des raisons qui ont poussé la jeune fille à son geste tragique.

13 REASONS WHY - PRODUCTION STILLS - 023 DESCRIPTION 13 REASONS WHY SEASON Season 1 EPISODE 5 PHOTO CREDIT Beth Dubber/Netflix PICTURED (Left to Right) Dylan Minnette and Katherine Langford

La série tisse un rapport très particulier entre le spectateur et son héroïne tragique. Girl next door attachante et sensible, Hannah va vivre de véritables montagnes russes émotionnelles. Elle fait une série de mauvaises rencontres, elle est souvent incomprise, les gens passent leur temps à la décevoir ou la trahir. Des événements, qu’on jugerait de prime abord comme misogynes mais un peu anecdotiques se déclenchent : une liste faite par des garçons désigne Hannah comme « le plus beau cul du lycée », on lui prête une réputation de fille facile… Au fil des épisodes, le spectateur est amené à réaliser à quel point ce qui pourrait passer pour du détail peut avoir des incidences dramatiques et insoupçonnées sur une jeune femme.

Ce que l’on retient de cette ambitieuse production, c’est d’abord son caractère féministe, assumé et subtil. On se prend en pleine figure la douleur des filles qui dès l’école sont stigmatisées, réduites par des imbéciles à un état d’objet, humiliées. Le show va très loin : la maladresse et la bêtise des garçons donnent lieu plus tard à des actes monstrueux et absolument impardonnables. Et si lors des premiers épisodes la tentation de voir en Hannah une « drama queen » est possible, la deuxième partie constitue une descente aux enfers bouleversante qui ne laisse plus aucun doute sur son témoignage accablant.

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Le harcèlement scolaire est clairement une des thématiques phares de ce teen show qui évoque la cruauté des adolescents entre eux, absolument prêts à tout pour rester « dans le coup », sauver leur peau, ne pas finir du côté des persécutés et impopulaires. Ce qui touche beaucoup à travers les différentes cassettes, c’est qu’à la fois souvent on comprend le cheminement des protagonistes et ce qui les poussent à agir mal vis à vis d’Hannah (car ils sont toujours, à l’exception de quelques-uns, profondément humains avec leurs faiblesses) tout en étant médusés par les conséquences que cela engendre. L’individualisme prime et il devient de plus en plus glaçant au fil des épisodes.

Si l’intrigue en elle-même peut parfois paraître vaguement incohérente (le fait par exemple que le personnage masculin principal, Clay, mette une plombe à écouter les cassettes alors qu’il y a quand même urgence), l’atmosphère très particulière de « 13 Reasons why » emporte tout sur son passage. On est à un niveau rare d’empathie, de ressenti, et la série nous fait vraiment vivre physiquement le désespoir adolescent dans ses plus abyssales profondeurs. Autant dire que quand on arrive à la fin on est complètement à terre, en larmes. Et de mémoire on n’avait jamais été autant secoué par une série ado à ce point.

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Certaines scènes sont proches de l’insoutenable, certaines trajectoires ont de quoi traumatiser (une pensée pour le personnage de Jessica, d’une tristesse infinie). Les thématiques LGBT sont présentes et le show compte un certain nombre de protagonistes gays et lesbiens. Ils sont abordés avec intelligence et nuance (un personnage est un gay aux dents longues pas très sympathique – car être gay n’empêche pas d’être un bourreau -, un autre est une lesbienne dans le placard qui a peur de faire son coming out car elle ne voudrait pas qu’on montre du doigt ses deux papas gays, et enfin le dernier, qui est un personnage clé, vit son homosexualité de façon assez sereine, banalisée).

A la fois moderne et vintage, « 13 reasons why » fait un effet choc et traumatise son public de par sa façon de regarder droit dans les yeux ses jeunes héros. Sa vision n’est pas toujours évidente car ça creuse profond mais on ne regrette pas de s’y plonger quitte à parfois suffoquer. Déjà une référence.

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3