COURTS
Jean-Baptiste Huong fait ses (beaux) débuts au cinéma avec « Because you’re mine »
Comme beaucoup, on a découvert le travail de Jean-Baptiste Huong à travers son compte Instagram. Il est ni plus ni moins l’un des meilleurs photographes français actuels quand il s’agit de capturer la beauté masculine. Bonne nouvelle pour ceux qui admirent son travail aussi sophistiqué que sensuel : son premier court-métrage, Because you’re mine – À l’Orée nous donne l’impression de plonger au coeur de son univers photographique en matérialisant à merveille ses obsessions incarnées par des mâles suaves à souhait !
Le personnage principal, Samuel, est interprété par ailleurs par un modèle ayant déjà contribué de nombreuses fois avec Jean-Baptiste Huong : Samuel de Sagas. Et une grande partie de l’action prend place le long de lacs allemands où l’artiste avait effectué de nombreux clichés par le passé.
Tout commence à Berlin où Samuel, visiblement mal en point, erre seul, une lettre à la main. Il s’agit d’une lettre signée de son ex (Andrew Sheather). Une séparation qui va le hanter, une lettre d’adieu en forme de sort. Plus tard, au bord d’un lac, Samuel voit ressurgir de l’eau, tel un mort-vivant, celui qu’il a perdu. Et s’opère un étrange rituel dans un bois aux allures de lieu de rencontres gays où Andrew prend peu à peu possession, dans tous les sens du terme, de celui qui désormais lui échappe.
C’est un film très onirique et qui peut être perçu de nombreuses façons. A première vue, il y a le plaisir esthétique évident. Tout est superbe, parfaitement chorégraphié, réglé au millimètre près. On retrouve les qualités d’esthète de Jean-Baptiste Huong, sa fascination pour les corps masculins au poil, un érotisme brûlant. Fièvre sur la pellicule. Mais le projet est loin d’être simplement une rêverie acoquinée à du softcore.
Le fil rouge du métrage, c’est la lettre que Samuel tient dans ses mains, le sort jeté d’un amour perdu. A la fois une folle déclaration d’amour et de guerre. La matérialisation poétique, par les mots, d’une perte insupportable. Ce beau texte, écrit par Nicolas Mapache et incarné avec une belle intensité par l’acteur culte Stéphane Rideau, hisse « Because you’re mine » à un autre niveau. L’image et le texte s’imbriquent mais s’opposent aussi paradoxalement dans le même temps. Et ce n’est pas un hasard : derrière le plaisir et l’abandon, le charnel ou le futile, se cachent des fantômes, des cicatrices, parfois invisibles mais qui vous submergent d’émotion et vous rendent prisonnier de vous-mêmes à jamais.
A la soif de vivre, la quête de plaisir, se mêle une terrible déchirure, la sensation et le parfum inoubliable d’un ancien amour qui ne reviendra jamais mais qui reste à jamais en nous. Un amour comme une obsession et une irrésistible malédiction. On espère que le film arrivera un jour sur Internet après sa tournée des festivals car il mérite d’être vu plusieurs fois pour en savourer les différentes couches et sa richesse. Un ballet des corps et du coeur merveilleusement accompagné par la musique de Vincent Madame.
Film présenté au Festival Chéries Chéris 2018. Après sa tournée en festival, le film est disponible en VOD ici
INTERVIEW AVEC JEAN-BAPTISTE HUONG
Comment as-tu eu l’idée de ce film ?
J’ai été très marqué par mes ruptures et pourtant j’en ai eu très peu ! Mais elles étaient infiniment douloureuses car je suis quelqu’un de très passionné en amour. Le sujet de mon premier film m’est donc venu assez naturellement. Je tenais à montrer à quel point une rupture peut être comme une cicatrice ou une plaie qui ne se referme jamais complètement.
Pourquoi avoir choisi Samuel de Sagas et Andrew Sheather dans les rôles principaux ?
Samuel étant ma « muse » de Barcelone. Il m’a porté chance depuis mes débuts en tant que photographe et il m’a toujours été fidèle. Je l’ai rencontré il y a 5 ou 6 ans et j’ai été tout de suite séduit. Il avait quelque chose dans le regard qui me captivait et son corps était si divinement sculpté ! Je ne m’en cache pas : j’aime les corps velus plutôt secs mais avec de belles formes. Samuel, c’est exactement ça.
Andrew, je l’ai rencontré il y a 3 ou 4 ans à Berlin. Il sortait du lot, il était différent de tous les mecs que je prenais en photo. J’aimais ses yeux verts et ses cheveux blonds ondulés. Il a un regard qui « tue ». C’est tout à fait ce genre de mec qui me fait frissonner mais il ne faut pas lui dire 😉 Donc quand j’ai commencé à écrire cette histoire, je pensais déjà à eux pour les rôles et j’ai été hyper heureux qu’ils acceptent sans aucune hésitation.
Comment perçois-tu le rapport entre l’image et le texte (la lettre) dans ce film ?
Ecrire un film à partir d’une lettre (donc une voix off) n’était pas mon idée initiale. Je voulais des flash-blacks et des dialogues dans le film. Mais mes acteurs venant du monde de la photographie et étant de nationalités différentes, c’était un peu compliqué à mettre en place – d’autant plus que je tenais à ce que « Because you’re mine » ait une identité française.
La voix est finalement devenue le pilier du film. J’ai demandé à Nicolas Mapache (qui avait déjà écrit les poèmes de mon livre de photos « Secret Places » sorti en 2016) d’écrire une lettre de rupture sous la forme d’un poème.
Comment s’est passé le tournage ? Il y a notamment une scène de groupe très chorégraphiée qui a dû être particulière à tourner…
Le tournage a duré seulement 4 jours et c’était un peu tendu car nous avions de nombreuses scènes à faire. C’était ma première expérience en tant que réalisateur et j’ai découvert à quel point il était difficile d’élaborer et de se tenir à un plan de tournage. Le trajet était long pour aller de Berlin jusqu’au lac à Wandlitz, on dépendait aussi de la lumière qui parfois nous faisait des caprices… Ainsi, par exemple, j’ai dû abandonner une scène du film qu’on n’a pas pu tourner faute de temps.
Concernant la fameuse scène de groupe, on avait beaucoup répété à Berlin avant le tournage en forêt. Je voulais un minimum de prises compte tenu du planning très serré. Les acteurs ont vite compris ce que je voulais . J’aime filmer des corps en mouvement et surtout les mains et je voulais aller vers ça.
Pour la partie plus « encordée », c’était aussi très répété et chorégraphié. J’ai fait appel à une artiste Kinbaku, Caritia Abell, qui nous a beaucoup aidés en nous donnant des cours. On a pu répéter une dernière fois en forêt avant de filmer la scène finale.
Comment est arrivé Stéphane Rideau sur le projet ?
Stéphane Rideau est un acteur qui, et je pense que c’est le cas pour beaucoup de gays, m’a beaucoup marqué à travers ses rôles cultes dans « Les Roseaux sauvages », « À toute vitesse » ou encore « Presque rien ».
J’ai eu une énorme chance qu’il soit disponible et surtout qu’il ait accepté le projet ! Je n’en revenais pas, j’ai même cru que c’était une blague ! Je me rappelle lui avoir dit « : « Non mais vraiment tu acceptes, c’est pour de vrai ? ». Je rêvais d’un comédien comme lui qui puisse porter le texte et donc quelque part toute la structure du film sur ses épaules.
Il a été magnifique. On a fait 3 prises différentes au studio son et j’étais extrêmement ému qu’il me donne autant. Quand je l’entendais, je voyais Andrew et j’y croyais ! Je me rappelle encore d’avoir regardé Nicolas (qui a écrit le texte de la lettre): pour nous c’était une évidence : il était parfait pour ce rôle et j’étais heureux et très soulagé !
C’est un film qui peut donner lieu à plusieurs interprétations…
On peut voir le récit comme celui d’une rupture ou bien croire que Bastian (qu’incarne Andrew Sheather) est décédé et que Samuel fantasme sur son retour tellement il l’a aimé et regrette tout le mal qu’il lui a fait. La scène du lac peut mener le spectateur à ça. Je voulais que ce soit comme un rituel et la vitesse inversée accentue cette possibilité de lecture. Chacun peut interpréter mon film à sa manière en fonction de son histoire personnelle et de sa sensibilité.
J’ai toujours été obsédé par l’idée de la mort d’un être qu’on aime si fort qu’on voudrait qu’il ré-apparaisse dans nos rêves. Il doit y avoir de ça dans ce court-métrage même si je ne voulais pas en faire quelque chose de morbide. Au final, je dirais qu’une rupture, pour moi, c’est comme un deuil ou une grande blessure qui parfois ne guérit jamais.
C’est ton premier film après de nombreuses années où l’on t’a découvert comme photographe. C’était une envie que tu avais depuis longtemps ? En quoi était-ce différent que de faire de la photo ? Envisages-tu de faire un nouveau film après celui-ci ?
Il est vrai que je pratique la photo depuis très longtemps, bien avant l’ère du numérique et des réseaux sociaux en fait. On me connaît surtout je crois pour mes portraits d’hommes en tenue légère. Le corps masculin est devenu une passion voire une obsession avec le temps et ce que j’aime, c’est mettre ce corps en scène au sein d’un paysage, d’un lieu abandonné, d’un grand espace. J’ai toujours essayé de donner à mon travail une dimension cinématographique et je vois ce premier film comme un aboutissement.
Les gens qui me suivent me disent souvent : « On adore tes photos et on aimerait savoir ce qui pourrait se passer avant ou après ! » Quand quelqu’un me parle de mes photos en disant : « On dirait une image extraite d’un film » ça me ravit !
J’ai fait des études de cinéma et je pense avoir été frustré pendant longtemps de ne pas pouvoir être directeur de la photo. « Because you’re mine » est en quelque sorte un tremplin pour moi. Quand un mécène m’a proposé de le financer, c’était un rêve qui se réalisait.
J’ai bien évidemment envie de revenir au cinéma après ça. J’ai commencé à écrire mon 2e court-métrage et j’espère trouver un financement d’ici 2020 pour pouvoir le réaliser dans de bonnes conditions comme c’était le cas pour « Because you’re mine ». Je ne vais pas trop en dire mais l’histoire suivra 5 personnages (masculins et féminins), 5 histoires dans 5 villes différentes et il y aura de l’amour, de la joie, de la tristesse et aussi du sexy bien sûr !