FICTIONS LGBT
UNE JEUNESSE DORÉE : Eva Ionesco et le vertige de l’excès
Eva Ionesco avait fait des débuts de réalisatrice prometteurs avec l’imparfait mais entêtant « My Little Princess ». La voici de retour, toujours avec Isabelle Huppert au générique, pour « Une jeunesse dorée ». Un long-métrage atypique qui nous plonge au coeur des « années Palace » et qui a dû faire face à une critique française pas très tendre. C’est qu’Une jeunesse dorée ne ressemble pas vraiment à grand chose et a plus d’un élément apte à déstabiliser le spectateur. S’il ne manque pas de maladresses, il constitue une proposition intéressante et souvent électrisante qui mérite qu’on s’y attarde.
Le film est avant tout le portrait de Rose (Galatea Bellugi), jeune fille de 16 ans livrée à elle-même, issue de la DASS, qui fuit le néant de son existence et l’absence de perspectives en passant tout son temps avec une bande de garçons et de filles âgés d’une vingtaine d’années. Fiancée à Michel (Lukas Ionesco), un aspirant peintre qui peine à joindre les deux bouts, elle est mise sous sa responsabilité. Elle vit avec lui en colocation dans un appartement parisien aux côtés d’amis d’autres oiseaux de nuit.
C’est en effet la nuit qui permet à ces jeunes fauchés mais branchés de s’émanciper. C’est la fin des années 1970 et ils vont dès qu’ils le peuvent au Palace, haut lieu iconique de la nuit où les étiquettes n’existent plus et où tout semble possible. Les riches y côtoient les marginaux, les artistes se frottent aux créatures de la nuit. L’alcool coule à flot, les drogues circulent et tout le monde s’oublie en dansant ou en cultivant un personnage fantasmatique.
Avec sa crinière de lionne et son style de lolita punk qui détonne, Rose attire les regards. Il en va de même pour ses camarades qui à défaut d’avoir une situation, de l’argent, brillent de mille feux par leur style et leur attitude. Les jeunes gens aimeraient que la fête dure toujours et jouir indéfiniment du sentiment de liberté qui les anime quand ils sont sur la piste de danse. Mais il y a toujours un lendemain et il est souvent brutal.
Les choses basculent quand Michel, qui gardait jusqu’alors ses peintures en rêvant d’avoir l’opportunité de les exposer dans une galerie, décide d’en vendre quelques-unes et de réaliser des commandes pour Lucille Wood (Isabelle Huppert), une femme à la cinquantaine d’années rayonnante, riche et provocante. Rose comprend tout de suite qu’elle en a après Michel et qu’elle ne demande qu’à le vampiriser. Elle tente de casser ce lien naissant mais Lucille n’est pas une débutante… Charismatique, séductrice et manipulatrice, celle qui s’improvise en mécène jette dans les bras de Rose son propre mari, Hubert Robert (Melvil Poupaud). Un homme qui vit à ses crochets désormais, au charme et à la perversité magnétiques. Rose se laisse peu à peu courtiser et séduire.
L’espace de quelques semaines, Rose et Michel vont tomber sous la coupe de Lucille et Hubert, allant jusqu’à emménager chez eux dans une immense demeure à l’écart de la ville et former un « couple à 4 ». Entre tendresse, sexe débridé, drogues et rêves d’ailleurs, cette union va servir de déclencheur pour Rose et Michel.
On peut diviser le métrage en deux parties bien distinctes : la première qui est placée sous le signe de l’errance nocturne et le second qui prend les atours d’un huis clos perché et progressivement asphyxiant. L’ensemble ressemble par ailleurs à une sorte de conte pervers avec en chefs d’orchestre Isabelle Huppert et Melvil Poupaud, absolument géniaux et retors. Ou deux riches oisifs qui trompent leur ennui en dévorant tout crues de jeunes proies bien moins inexpérimentées qu’elles ne le pensent.
En opposition à ce couple faussement heureux dans le libertinage, il y a donc Rose et Michel. Ils sont unis par un amour pur mais fragile, à l’image de ce qu’est Rose. La jeune femme a pour elle une beauté éclatante, une allure unique, un tempérament volcanique mais elle reste une enfant à vif qui peut éclater en plein vol à tout moment et succomber à une crise de larmes. Livrée à elle-même depuis toujours, elle a besoin de Michel comme appui. Mais ce dernier, bien que très amoureux, est obsédé par le désir de s’accomplir à travers son art et c’est ce que peut lui amener Lucille…
Une jeunesse dorée se prend parfois les pieds dans le tapis en cédant aux sirènes de l’hystérie. Le spectateur tisse avec la jeune actrice principale Galatea Bellugi un drôle de lien. Elle est parfois d’une justesse sidérante, une véritable créature de cinéma et à d’autres moments complètement dans l’excès et presque totalement fausse. Le film d’Eva Ionesco est à son image, fait d’éclats et de maladresses presque gênantes. Mais aucun doute : il se passe constamment quelque chose à l’écran et s’il y a bien une chose que réussit Ionesco, c’est de matérialiser le vertige de l’excès et du vide qui habite ses protagonistes.
Que ce soit lors de nuits débridées, flamboyantes et queer en club ou lors de jeux et autres parenthèses sexuelles sous substance, on est complètement ailleurs. Ca ne ressemble à rien d’autre et Une jeunesse dorée réussit le tour de force de rendre palpable ce drôle de paradis artificiel et dangereux de ceux qui n’en finissent plus de s’encanailler pour fuir le monde dans lequel ils évoluent.
C’est un projet un peu fou, qui déborde de partout, suffisamment tranchant pour en hypnotiser certains et en rebuter épidermiquement d’autres. Ici on en est ressorti exalté, avec le sourire (car mine de rien avec une Isabelle Huppert qui cabotine génialement il y a une multitude de passages improbables et hilarants) et touché aussi. Si nous basculons bien ici dans l’enfer du vide, Eva Ionesco parle aussi et surtout de comment l’art, une vocation, peut permettre parfois de s’affranchir des pires douleurs et démons.
Film sorti le 16 janvier 2019
PS. A noter au casting en plus du sexy Melvil Poupaud, Alain-Fabien Delon toujours aussi troublant de beauté après son rôle dans « Les rencontres d’après minuit », Nassim Guizani dément dans un rôle de jeune gay dandy et des caméos de Pierre Emö et Igor Dewe. Coool.