CINEMA

LE BEL ANTONIO de Mauro Bolognini : comme un ange

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Après un séjour de trois ans à Rome, Antonio Magnano (Marcello Mastroianni) revient dans son village natal de Catane, chez ses parents. Son retour est attendu : son père compte lui forcer la main pour qu’il épouse la belle et surtout riche Barbara Puglisi (Claudia Cardinale). Antonio ne l’a jamais rencontrée et traîne un peu des pieds. Il oublie la pression familiale en passant du temps avec son cousin. Beau garçon, il est le centre de bien des attentions féminines. Tout le monde le dit : les femmes en sont folles. L’étiquette de Dom Juan lui colle à la peau. Une nuit, après une soirée, Antonio aperçoit une photo de Barbara. Il la trouve belle comme un ange. Il décide alors de faire le grand saut et annonce à ses parents, ravis, qu’il va exaucer leur souhait et se marier. Les parents des deux familles se rencontrent dans d’étranges circonstances (le grand-père de Barbara fait une attaque mortelle quand il aperçoit le père d’Antonio, qu’il a en horreur). C’est ainsi lors de funérailles que Antonio et Barbara se voient pour la première fois. Il n’y a pas de place pour la déception : le jeune homme est instantanément sous le charme de cette jeune femme gracieuse, pure et dévouée. Après le mariage, ils emménagent dans une belle maison, au milieu de l’orangerie de la famille d’Antonio. Ce dernier déborde de tendresse pour son épouse. Mais un an après leur union, le père de Barbara veut les séparer : il révèle au père d’Antonio que le mariage est nul car non consommé. Refusant d’y croire dans un premier temps, blessé dans sa fierté, le père va pourtant devoir composer avec une donnée qu’il se refusait de considérer jusqu’alors : son fils unique n’a jamais été un coureur, il est impuissant. Alors que le divorce se profile, le scandale se répand dans le village, faisant vivre un véritable enfer à la famille Magnano…

Le bel Antonio aborde le thème périlleux de l’impuissance dans l’Italie des années 1950 où il y a peu de place pour la différence. L’Eglise est omniprésente, on rappelle aux femmes lors de leur mariage qu’elles doivent totalement se soumettre à leur époux. Ces dernières se laissent imposer le choix de leur mari, pour des mariages qui ressemblent à des contrats. Elles se doivent d’être vertueuses et dociles. Les hommes ,eux, ne doivent pas manquer à faire la fierté de leur père. On loue et on admire Antonio car tout le monde le perçoit comme un Dom Juan, un homme à femmes, jusqu’à son mariage. Ecrit par Pier Paolo Pasolini et Gino Visentini d’après un roman de Vitaliano Brancati, ce long-métrage de Mauro Bolognini impose dès sa première scène une atmosphère un peu dépressive, étouffante. On y découvre Antonio avec l’une de ses « maîtresses » à Rome, alors qu’il est incapable de lui donner du plaisir. Cela n’empêche pas sa partenaire de lui témoigner tout son amour. Revenant dans son village natal, il doit composer avec la pression que lui met son père et le voisinage. Son image de séducteur lui colle à la peau et le fait de savoir que tout cela est faux l’angoisse et le plonge dans une certaine solitude. Antonio entrevoit toutefois une possible libération quand il découvre le visage de Barbara. C’est comme s’il tombait amoureux d’elle sans la connaître. Une fois mariés, ils vivent des jours heureux et l’époux se montre extrêmement tendre. Barbara semble comblée jusqu’à ce qu’elle découvre que son mari est censé « faire des choses avec elle ». On ne lui avait jamais parlé de sexualité auparavant et elle comprend subitement qu’il y a peut-être quelque chose qui cloche chez celui à qui elle a décidé de consacrer sa vie.

le bel antonio film

C’est un film qui prend son temps, mélancolique, qui joue sur les doutes et souffrances intérieures des personnages. Les décors sont très beaux, la lumière magnifique, donnant par moments un côté un peu irréel à certaines scènes. C’est aussi d’une violence psychologique et d’une cruauté assez rares. La peinture de la société italienne qui est dressée est peu reluisante. On ne laisse aucune chance aux gens d’être eux-mêmes, d’être libres. Les conventions et la peur des ragots écrasent tout. Souffrant d’un blocage physique inavouable, Antonio va finir par totalement se replier sur lui-même et voir toute sa vie partir en vrille. Désespéré, son père finit par vouloir l’oublier, fonce voir une prostituée pour prouver que lui est bien un homme, s’invente d’autres enfants… La mère, qui avait deviné que son enfant n’était peut-être pas comme les autres, reste sonnée, priant le bon Dieu, tentant de sauver le mariage. Mais la pure Barbara s’avérera moins loyale qu’elle n’en avait l’air…

Entre une Eglise hypocrite et motivée par l’argent, un village où du jour au lendemain on peut devenir la risée générale, une société machiste, Antonio va se replier sur lui-même jusqu’à un final étonnant, faussement joyeux, d’une infinie tristesse. C’est le portrait d’un homme prisonnier de son corps et d’une société qui impose des schémas de virilité impitoyables. Marcello Mastroianni casse ainsi son image de séducteur en interprétant Antonio, une vision du masculin à fleur de peau. Des premiers jours d’amour, au romantisme ensorcelant, succède l’amère désillusion et la solitude. Passant de l’espoir au cynisme, Le bel Antonio bouleverse par petites touches et aborde avec finesse un sujet trop souvent traité bêtement à travers l’histoire du cinéma.

Film sorti en 1961 // Disponible en VOD et DVD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3