FICTIONS LGBT
HAWAII de Marco Berger : ne pas oser
Martin (Mateo Chiarino) revient dans le petit village où il a passé son enfance, à la recherche d’une personne proche. Mais une fois arrivé devant la maison de cette dernière, il apprend qu’elle a déménagé sans laisser de numéro ou d’adresse. Sans le sou, il se retrouve à la rue et dort dehors, dans un coin à l’abris des regards. A la rentrée, il partira pour Buenos Aires où l’attend un job. En attendant, il faut survivre. Le jeune homme fait le tour des maisons, proposant son aide comme homme à tout faire. C’est ainsi qu’il se retrouve nez à nez avec Eugenio (Manuel Vignau, déjà vu dans le film « Plan B »), un séduisant journaliste et romancier avec lequel il avait passé une partie de son enfance.
Les deux garçons sympathisent et, sentant que Martin a besoin d’aide, Eugenio lui propose de l’employer pour faire des travaux dans la maison dans laquelle il loge et qui appartient à son oncle. Les journées défilent et les regards en coin sont légion. Eugenio est indéniablement attiré mais ne sait pas si Martin est gay et n’ose pas lui poser la question, de peur qu’il le prenne pour un pervers ayant eu recours à ses services juste pour se rincer l’oeil. Les choses deviennent encore plus tendues quand Eugenio découvre que son camarade est réellement à la rue. Il l’invite à vivre avec lui. La tension sexuelle se fait alors permanente…
Après les réussis Plan B et Absent, le réalisateur argentin Marco Berger revient avec Hawaii, film indépendant financé majoritairement par le crowd-funding. Tourné avec seulement quelques dizaines de milliers d’euros, le projet est modeste mais cela ne se ressent pratiquement pas à l’écran grâce à la force de la mise en scène. On retrouve ici toutes les obsessions du cinéaste, son goût pour l’érotisme et des personnages masculins qui tournent autour du pot, pleins de désir mais peinant à prendre le risque de les exprimer. Les 15 premières minutes nous présentent, quasiment sans dialogue, les personnages de Martin et Eugenio. On les voit au quotidien, frappés par la solitude. L’un dort dans une grande maison avec piscine, l’autre à la belle étoile. Ils ne sont pas du même milieu mais quand leurs regards se croisent ils se reconnaissent, ont déjà un passé commun. A partir de cette rencontre le film bascule dans un étrange jeu de pouvoir et de désir. Martin est en position d’infériorité dans leur relation ambiguë : il est l’employé, puis l’invité. Il dépend en quelque sorte d’Eugenio qui est à la fois plus riche et plus cultivé que lui.
Avec Hawaii, et comme souvent dans le cinéma de Marco Berger, toutes les occasions semblent bonnes pour mater. Joueur et un brin pervers, Eugenio se plaît à provoquer des situations pour le moins embarrassantes (on le voit faire irruption l’air de rien dans la salle de bain pour apercevoir Martin sous la douche / au départ d’un trajet en voiture, il se plaint de la chaleur et se met torse nu avant de se toucher brièvement l’entrejambe – il ne porte qu’un short laissant entrevoir ses attributs / Il n’a de cesse de proposer de se baigner dans la piscine ou dans le lac du coin de façon plus ou moins dénudée / Un summum est atteint lorsqu’il propose à son hôte de lui offrir des sous-vêtements et de les essayer juste à côté de lui !). Il y a un petit côté « cinéma de vieux libidineux » qui donne à l’ensemble un côté plaisir coupable, prêtant plusieurs fois à sourire face à l’incongruité des situations. Marco Berger se plaît à s’arrêter sur les visages de ses acteurs qu’il sublime, leurs torses, les parties intimes de leur corps qui ne se dévoilent qu’à moitié, moulées dans un boxer ou dépassant légèrement d’un jean… Aguicher, essayer de tenter l’autre, de jouer avec son désir, semble le moyen pour ces deux garçons de prendre la température alors qu’ils se révèlent incapables d’assumer leurs sentiments.
Hawaii est avant tout un film sur le désir, la frustration, la difficulté de se sentir attiré par un autre garçon dont on ne sait rien de sa sexualité. Les deux personnages sont comme des enfants qui se tournent autour, qui ne savent pas jusqu’où leurs jeux peuvent les mener. L’enfance, le passé et la nostalgie sont aussi au cœur de l’intrigue (comme en témoigne le choix du titre dont le mystère n’est révélé que très tardivement). L’absence des morts, des êtres aimés qui ont disparu subitement d’une vie, viennent hanter les pensées de Martin et Eugenio. Ce passé à la fois beau et douloureux sera ce qui contribuera à amener les deux garçons à faire tomber les masques.
Extrêmement sensuel, ce nouveau long-métrage de Marco Berger est aussi particulièrement contemplatif. Economie de dialogues, une mise en scène qui joue sur la langueur, un scénario qui se plaît à enchaîner les journées qui se suivent et se ressemblent. De quoi faire de Hawaii un film relativement exigeant, pour un public patient, qui n’a pas peur de s’abandonner, se laissant porter par le son, la beauté des mâles et de la nature, la puissance et le trouble des regards, des gestes faussement anecdotiques. Une patience qui sera récompensée par un final particulièrement touchant.
Si le sujet n’est pas nouveau et que Marco Berger ne surprendra pas ses fans de la première heure, Hawaii déborde de charme, de mystère, de fausses pistes et joue avec malice avec nos pulsions et nos attentes. Troublant et maîtrisé.
Film produit en 2013 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen