MULTIPOP
DANS MA CHAMBRE avec Hugues Jourdain : la gay solitude
On voit de belles pièces à thématique gay, courageuses et osées, au théâtre en cette année 2019. Après le sulfureux 5 Guys Chillin’, voici Dans ma chambre. La pièce est mise en scène et portée par le jeune comédien Hugues Jourdain, d’après l’oeuvre du même titre de Guillaume Dustan.
C’est un seul en scène qui raconte le quotidien d’un jeune gay dans le Paris des années 1990. Le récit se focalise sur ce qui se passe dans la chambre du personnage principal, sur ses soirées, ses étreintes. Comme il le dit en intro : il vient d’un monde où tout le monde couche avec tout le monde. Ici on ne s’attarde pas sur la famille ou le travail : tout tourne autour de la sexualité. L’homosexualité dans les années 1990, c’était les saunas, les boîtes, les lieux de drague plus sauvages, les réseaux téléphoniques, le minitel. Rafale de rendez-vous clandestins, quête du plan du siècle, de bras dans lesquels s’abandonner.
On se doute que ce n’était pas évident de s’assumer, surtout alors que le Sida faisait des ravages. Le « milieu gay » et les plans faisaient alors office de refuge. Jusqu’à la déraison. Le garçon de Dans ma chambre est en quête de toujours plus. Il a du mal à rester en place, à se satisfaire d’un seul homme. Il a peur de l’engagement. Il ne sait pas vraiment ce que c’est l’amour même s’il a l’impression de le frôler parfois.
Hugues Jourdain est parfait pour raconter cette histoire souvent crue qui évoque sans filtre la sexualité, le rapport au corps et à l’autre. Son côté frêle et presque hésitant contrastent avec un texte rentre-dedans mais ô combien sensible en même temps. La mise en scène est à la fois épurée et efficace avec de belles envolées qui se jouent de nos sens (par surprise on en prend plein les yeux, en transe avec la musique et les stroboscopes ou l’odeur d’une douche s’invite dans nos narines).
Ce qui frappe ici, c’est la solitude qui peut toucher beaucoup de gays et le rapport ambivalent que chacun peut avoir avec une sexualité faussement facile et accessible. Certes ici ce sont les années 1990, il y a le danger du Sida et Grindr n’existait pas. Mais le texte de Dustan est furieusement contemporain. Tout ce que le personnage raconte trouve un écho parmi l’assemblée. Car peu importe la méthode employée (Minitel ou appli) la quête effrénée de plaisir pour tromper la solitude et le vide est la même.
On se réfugie dans ses pulsions. On se met en danger. On prend du plaisir. On laisse les autres nous faire dégrader et on trouve ça excitant. On s’écorche. On recommence. On cherche encore et encore. On croit aimer. On a peur. On va ailleurs. On reste. On part. On revient. On consomme. On se sent parfois vivant. Et parfois c’est comme si tout sentiment était mort et comme si plus rien n’avait de sens.
La pièce parle de l’ambivalence d’une sexualité gay débridée qui permet de s’échapper, de s’explorer et qui en même temps peut se transformer en addiction ou en poison. Il n’y a pas de jugement, juste des expériences brandies avec sincérité. Devant Hugues Jourdain qui donne tout sur scène, on s’amuse, on rit et on a parfois la larme à l’oeil. Car c’est un petit bout de notre vie ou de celle de nos amis qui se raconte. Car on est tous un peu pris dans ce truc bizarre où on a envie d’aimer et de ne plus être seul et où en même temps on se saborde. Car c’est éternellement compliqué de trouver l’équilibre entre les schémas imposés par la société et ce que l’on ressent, entre les sentiments et des désirs qui parfois nous échappent.
Ce que le texte ,et la pièce par extension, a de beau c’est qu’elle peut être perçue de façon très différente selon chaque spectateur. Il est ici à la fois question d’une époque et d’un récit tout personnel. C’est beau, c’est fort, constamment juste et ça donne envie de se plonger dans l’oeuvre de Dustan. Bravo.
Pièce vue en mai 2019 au Théâtre du Petit Saint Martin à Paris