CINEMA
CE SENTIMENT DE L’ÉTÉ de Mikhaël Hers : retour à la vie
Berlin. Sasha (Stéphanie Déhel) se réveille aux côtés de son compagnon, Lawrence (Anders Danielsen Lie), et entame dans le calme sa journée. Il fait beau, elle part travailler mais ,alors qu’elle s’apprête à rentrer, elle tombe au sol. Elle ne se relèvera jamais. Mort subite. Sous le choc, Lawrence se retrouve épaulé par la famille de sa copine disparue. Il y a notamment Zoé (Judith Chemla), soeur de Sasha. Le temps passe, petit à petit, mais les blessures ne disparaissent pas. Entre Berlin, Paris et New York, en passant par Annecy, le temps de trois étés, Sasha et Zoé vont chacun de leur côté tenter de se reconstruire. Ils vont aussi se revoir, ponctuellement, se remémorant le souvenir de celle qui leur manque tant. Petit à petit, la vie reprend, la lumière revient…
Disons le d’emblée : Ce sentiment de l’été est déjà, sans l’ombre d’un doute, l’un des plus beaux films français sortis en 2016 et même ces dernières années. Derrière un pitch qui pourrait effrayer se cache une oeuvre extrêmement solaire, belle et qui foudroie d’émotion sans qu’on ne la voit venir. Après le prometteur Memory Lane, Mikhaël s’impose comme un auteur à part. Sa façon particulière de filmer les villes, d’en faire surgir leur âme et en même temps d’y imprimer le fantôme d’un être cher est aussi singulière que magique.
Orné d’une bande-originale pop du meilleur goût, avec entre autres de superbes morceaux instrumentaux signés Tahiti Boy, l’ensemble fait penser à une ballade pop, aussi douce que déchirante, entêtante. A l’écran, à première vue, il ne se passe rien d’extraordinaire. Lawrence et Zoé marchent, se racontent un peu mais pas trop, évoquent des souvenirs de Sasha, cette personne dont le souvenir et le manque les dévaste en même temps qu’il les réunit. La vie ne sera plus jamais la même mais il en émerge un lien unique, infiniment précieux, entre deux êtres qui jusqu’alors n’avait fait que se croiser.
C’est un film impressionniste, tourné en 16mm. L’image est splendide, le cadre merveilleusement travaillé. Ce n’est jamais poseur, toujours extrêmement pudique et sensible. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas été aussi bouleversé par des visages, des gestes, des regards ou des paysages. Il faut définitivement beaucoup de talent pour rendre une ville émouvante, pour la transformer en personnage. Berlin, Paris et New York constituent malgré leurs spécificités le même temple d’un amour perdu, d’une personne indispensable dont il faut soudain devoir se passer pour essayer d’avancer.
On peut penser à Rohmer, à Before Sunrise / Before Sunset mais surtout, ce qui fascine ici, c’est l’impression de voir naître un auteur, un vrai, au langage cinématographique unique. Archi maîtrisé et hypnotique, Ce sentiment de l’été est un « film chaud », jamais clinique, qui fait toujours la place belle au ressenti, aux sensations. On tombe amoureux des personnages, on ne veut plus les quitter, on fond en larme à la sortie de la salle sans pouvoir se l’expliquer. Mikhaël Hers touche à quelque chose de très intime et profond tout en faisant l’effet d’une caresse. On a tous un jour perdu quelqu’un ou quelque chose. Ce long-métrage à la fois mélancolique et drôle, bouleversant et rafraichissant, parle plus de la perte, du manque, de la disparition, que du deuil. Universel, il procure cet effet rare d’avoir été écrit pour celui qui le regarde. On s’y projette totalement, on a envie de s’y replonger en permanence. Sous nos yeux, c’est la vie qui défile, avec ses épreuves mais surtout sa beauté, ces petits riens qui font qu’un jour, face à la mer, on a les yeux mouillés, le sourire aux lèvres et que l’on croit (à nouveau) à ce mystère qu’est le bonheur.
Film sorti en 2016