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PRICK UP YOUR EARS de Stephen Frears : frustration fatale

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1967, en Angleterre. Le dramaturge Joe Orton est retrouvé mort aux côtés de son compagnon Kenneth Halliwell. Ce dernier l’a assassiné avant de se donner lui-même la mort. L’agent littéraire et amie de Joe Orton, Peggy Ramsay, récupère discrètement son journal. Des années plus tard, un biographe la contacte car il souhaite écrire sur Joe Orton. Elle lui donne alors accès à ces précieuses archives et lui raconte sa vie.

Flashback. Ayant grandi dans une toute petite ville de l’Angleterre, Joe Orton, s’appelant encore John, rêve de devenir comédien. Alors qu’il intègre une modeste troupe, il fait la connaissance de Kenneth, plus âgé que lui et peu apprécié de ses camarades car un peu ringard. Ils deviennent amis et Kenneth lui fait découvrir de nombreuses références. Ils finissent par coucher et sortir ensemble, prennent à deux un appartement puis se mettent à écrire à quatre mains. Le succès peine à arriver. Tout bascule quand une pièce radiophonique, que Joe a écrit seul, est commandée. Début d’une petite ascension, des pièces suivront, suscitant l’engouement de la presse et faisant souvent salle comble.

Si Kenneth aide fréquemment Joe dans son écriture, lui suggère des titres, il n’est jamais mis en avant et est peu apprécié par le nouvel entourage de l’artiste qui se demande ce qu’il peut bien faire avec lui. Joe reste solidaire mais ne le crédite jamais. Souffrant d’être dans l’ombre, jaloux du succès de son compagnon aussi bien dans sa carrière que dans sa vie sexuelle (ils sont en couple libre, Joe ne veut plus coucher avec lui, accumule les amants tandis que lui peine à en trouver), Kenneth, devenu son agent personnel, accumule les frustrations…

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Stephen Frears revient sur la disparition tragique de l’auteur Joe Orton et son ascension vers le succès avec Prick up your ears (titre dont la traduction serait « Dressez vos oreilles » mais « Prick up » signifiant aussi en argot quelque chose de plus cru ;)). Si suivre l’itinéraire de ce dramaturge insolent est intéressant, le film s’attarde surtout sur sa relation avec Kenneth Halliwell, son fidèle compagnon et aussi l’homme qui sera responsable de sa mort prématurée. La rencontre et le début de relation entre les deux artistes est très touchante. Joe est un beau jeune homme séducteur et curieux, Kenneth est un homme vieillissant et démodé avant l’heure. Plus aimé et plus séduisant, Joe se laisse séduire par ce que Kenneth a à l’intérieur. Il découvre beaucoup de choses grâce à lui, est conscient qu’il est un soutien perpétuel. Mais la relation bascule déjà intimement quand Joe décide d’ouvrir la sexualité de leur couple. Il a besoin d’aller voir ailleurs. La chose est amenée de façon pour le moins odieuse, Joe suggérant à son petit ami d’aller se masturber s’il a envie de sexe alors qu’il tente de provoquer un rapport. Alors qu’avec le temps Joe devient de plus en plus séduisant, auréolé de succès, Kenneth ,lui, se retrouve chauve, toujours relégué au second plan.

Quand les deux hommes vont draguer ensemble près des toilettes publiques, Joe paie discrètement un homme pour que celui-ci accepte d’offrir à Kenneth un peu de plaisir, pour ne pas le laisser une nouvelle fois sur la touche. Quand Joe se voit proposer de rencontrer l’un des Beatles pour un grand projet, Kenneth n’est pas invité. Lors des répétitions des pièces, on finit par ne plus le laisser venir, le jugeant trop envahissant. Enfin, tandis que Kenneth essaie tant bien que mal de se faire connaître par son art via une exposition, personne à part des amis de Joe ne se déplacent et le vernissage est un bide. Accumulation de succès et ascension d’un côté, multiplication de déconvenues de l’autre. Peut-on continuer à s’aimer quand on est deux artistes aux réussites divergentes ?

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Le personnage de Joe est particulièrement fort car ambigu. Il essaie toujours de bien faire, d’associer Kenneth à ses succès, de ne pas le laisser trop de côté mais en même temps voit ses efforts se retourner contre lui. Il se laisse absorber par le nouveau monde qui lui fait du pied. Pas d’effort en tout cas dans leur vie sentimentale où sexualité et tendresse ne sont plus à l’ordre du jour. De quoi empoisonner la situation, Joe se faisant de plus en plus égocentrique et Kenneth souffrant de plus en plus de n’être devenu que son assistant, d’être celui qui attend à la maison le soir pendant que l’autre n’en finit plus de se faire plaisir.

Le film est à la fois drôle, léger et torturé, montre la difficulté de rester soudés alors que les carrières ne suivent pas le même chemin, que le monde du spectacle accapare un homme pour mieux le changer. Stephen Frears raconte avec brio, sensibilité et élégance un amour gay dans une Angleterre où l’homosexualité était encore très mal vue voire carrément prohibée. La peur d’être attrapé par les flics dans les toilettes publiques, les orgies clandestines… Une romance destructrice pour un long-métrage attachant.

Film sorti en 1987 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3