FICTIONS LGBT
VICTOR VICTORIA de Blake Edwards : confusion des genres
Paris, années 1930. Victoria Grant (Julie Andrews) rêve de percer en tant que chanteuse. Mais les temps sont durs : manquant de connexions dans le milieu artistique et accumulant les castings sans succès, la belle rousse commence à désespérer. Son logeur la menace d’expulsion si elle continue de ne pas payer son loyer, elle passe certaines journées sans pouvoir manger. Un soir, alors qu’elle envisage de diner au restaurant sans payer la note (elle compte introduire un cafard dans son assiette et provoquer un scandale pour se faire offrir son repas), elle sympathise avec Carroll Todd, dit Toddy (Robert Preston), un chanteur de cabaret homosexuel.
Pris d’affection pour cette jeune femme sans le sou, il a une révélation quand il la voit habillée en homme (il lui avait prêté des vêtements alors que sa robe préférée périssait après une averse). Toddy lui propose une drôle d’idée : la faire passer pour un comte étranger, se travestissant pour des spectacles. Et Victoria de se retrouver dans la peau de Victor, de jouer « un homme qui joue à être une femme ». Ce sera leur secret et, ils l’espèrent, leur voie toute tracée pour le succès. Le comte Victor et sa capacité à se transformer font instantanément sensation. Un producteur investit, les grandes salles offrent leur scène, le public est fasciné et amusé. Victoria et Toddy commencent alors à mener la grande vie, logeant dans la superbe suite d’un hôtel, se faisant passer pour un couple gay.
Les choses basculent quand un très grand producteur américain, également associé à la mafia de Chicago, King Marchand (James Garner) s’intéresse de près à celui qu’il pense être un homme. Désireux de propulser encore plus loin le spectacle Victor/Victoria, il suit également à la trace son artiste. King Marchand, hétérosexuel ultra viril, jusqu’alors en couple avec la starlette hystérique Norma Cassady (Lesley Ann Warren), est troublé par Victor et sa féminité. Persuadé que la star est un homme, il est sujet à une profonde remise en question. De son côté, elle aussi amoureuse, Victoria se trouve confrontée à un choix cornélien : entretenir le mythe de son personnage et assurer sa carrière en se privant de toute romance ou prendre le risque de tout remettre en jeu pour vivre une grande histoire d’amour…
Sorti dans les années 1980, Victor Victoria (remake d’un film allemand de 1933) dispose d’une intrigue se déroulant dans les années 1930 et ressemble visuellement à un musical des 50’s . Un véritable spectacle, plein de couleurs, disposant de tableaux drôles et culottés. Blake Edwards signe là une réjouissante variation sur le genre. Cette comédie sensible dresse en effet tout d’abord le portrait d’une femme des années 1930 qui peine à se frayer un chemin. Célibataire, sans grandes relations dans le milieu artistique, Victoria en arrive à un stade où elle n’a plus assez d’argent pour se nourrir et risque de se retrouver à la rue. La seule solution qu’elle trouvera pour remonter la pente et aspirer au succès sera de se transformer en homme. Une expérience intéressante car elle lui permettra de voir ce que cela fait d’être considéré comme un mâle, de pouvoir réellement s’émanciper, de ne plus être victime de la misogynie ambiante. Les cartes sont joliment faussées car Victoria joue un homme qui se travestit en femme pour son spectacle. C’est ce qui lui apporte la gloire : elle est si crédible en tant que femme que personne n’en revient quand a la fin de ses shows elle prétend être un homme. Mais les choses se corsent quand l’amour entre en jeu.
Quasiment dès le premier regard, Victoria tombe sous le charme de King Marchand. Ce dernier ose la courtiser même s’il avance avec hésitation, étant hétérosexuel et pensant qu’elle est un homme. Drôle de jeu de séduction, qui pousse ce businessman puissant, évoluant dans un milieu mafieux ultra machiste, à remettre en cause sa propre sexualité. Il finira par découvrir que Victoria est bien une femme et s’en verra « rassuré » mais étant le seul avec Toddy à connaître son secret, il passera tout de même pour un homosexuel aux yeux de tous, mettant ainsi en danger sa propre réputation. Cela lui permettra également de constater qu’il y a autour de lui beaucoup plus d’homosexuels que ce qu’il ne pensait…
Le film nous plonge dans un Paris des années 1930 étonnamment queer, fantasmant un dancing totalement gay, montrant des spectacles transformistes visuellement captivants et/ ou amusants. Il dresse aussi avec tendresse le portrait d’un homosexuel vieillissant, l’adorable Toddy, qui vit à travers Victoria l’ivresse de la gloire avant de prendre lui-même, avec son style et sa personnalité inimitable, son envol.
L’interprétation est irréprochable (à noter l’excellent second rôle de Lesley Ann Waren dans la peau de Norma Cassady, starlette hystérique qui a droit au passage musical le plus sexy et le plus impressionnant ainsi qu’aux scènes les plus explosives), la mise en scène inspirée, le scénario audacieux. Le film fascine car il semble redessiner les classiques américains en leur apportant un ton plus moderne. Un propos sur le genre, l’identité sexuelle, libre et léger et un enchantement à tous les niveaux.
Film sorti en 1982 et disponible en DVD et VOD