FICTIONS LGBT
ABSOLU de Claudius Pan : libre, vivant
Après une série de courts-métrages et un roman (Carpe Noctem), voici le premier long-métrage de Claudius Pan, ABSOLU. Discrètement et passionnément, ce jeune artiste a bâti un univers queer, libre, féérique et abrasif qui n’appartient qu’à lui. Et c’est peu dire que son film lui ressemble. On note d’ailleurs dans la première partie du métrage une réplique qui résume bien la chose. Interviewé par un journaliste, le personnage de Gabriel (qu’interprète Claudius Pan) déclare : « Nous sommes tous capable de créer un monde singulier, aussi réel et solide que celui qui nous entoure ». C’est toute la force de l’oeuvre de cet artiste pluridisciplinaire : il nous extrait du monde tel qu’on le connait pour nous entraîner dans celui qu’il a créé et nous invite, nous aussi, à créer le nôtre, à nous extraire de l’artificiel pour nous rapprocher de l’essentiel.
Ce premier long-métrage, extrêmement aventureux et expérimental, ne plaira pas à tout le monde. Car il n’est pas linéaire, car il ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même. Claudius Pan prévient d’ailleurs : « Ce n’est pas un film, ce n’est pas une oeuvre, ce n’est pas compréhensible avec nos têtes ». C’est son regard sur sa création et nous on trouve que quand même c’est un film, un vrai, un grand, même s’il déborde de partout et embrasse tous les arts pour un tourbillon qui retourne effectivement le cerveau.
Ce n’est pas une oeuvre qui se consomme comme une série Netflix ou un pop corn movie. C’est une expérience à vivre, en coupant tout autour de soi et en faisant le choix de s’abandonner, de glisser, plonger, en acceptant qu’on ne comprendra pas tout, qu’on ne saisira pas les multiples références. A titre personnel, je pense être loin d’avoir tout compris mais franchement je m’en fous ! Car j’ai été complètement absorbé, hypnotisé par les images, envahi de sensations, touché en plein coeur par les dialogues. Comme si Claudius Pan, en même temps qu’il cherchait à se rapprocher de la pureté de l’existence nous renvoyait à la pureté du cinéma. ABSOLU n’est que sensations et émotions, c’est une dystopie qui vibre de partout, constamment. C’est infiniment vivant. C’est du cinéma primitif, fait avec presque rien mais qui nous en met plein les yeux avec des idées de plans et de mise en scène qui touchent souvent au sublime. C’est un film fou, malade, imparfait, humain et spirituel.
Les mots qui viennent à l’esprit pour le qualifier sont féérique, mystique, hypnotique, chamanique, hypnotique, chaotique, charnel, romantique, fantastique. Alors que les personnages avancent avec plus ou moins de certitude, de peur, d’angoisse ou d’apaisement vers une fin du monde tel qu’on le connait, le spectateur se perd complètement. Claudius Pan se plait à nous lâcher dans un labyrinthe d’images et d’émotions, de pulsions de vie, dans une spirale magnifique et infernale. Il envoie valser les normes, les habitudes, les codes : on ne sait pas où le film commence (le générique d’ouverture intervient tardivement) et où il s’arrête. La seule clé qui nous est donnée c’est cette volonté de passer d’un monde à l’autre.
ABSOLU est un film de passage, une grande porte ouverte sur un ailleurs et sur l’espoir d’une humanité meilleure et apaisée, reconnectée à l’essentiel. ABSOLU est une fissure poétique entre les morts et les vivants, la réalité et la fiction, le passé et le futur. C’est un poème visuel de deux heures où Claudius Pan questionne l’existence et les sentiments accompagné de sa bande d’acteurs hors norme, frères et soeurs de combat (ils sont tous magnifiques). C’est un miroir abstrait sur nos vies et nos doutes. On regarde souvent des films pour combler le vide, se distraire, s’extraire de la pensée. Celui-ci nous bouscule et nous confronte à ce que l’on a au plus profond de notre être. Un peu comme le personnage de Gabriel fait au début du métrage, Claudius Pan nous colle le nez face à notre reflet dans l’eau et nous demande d’aller chercher au plus profond de nous ce que l’on est, ce à quoi on aspire. Que l’on se demande à quoi on croit, qu’on retrouve la force de croire et de l’imaginaire, ce qui nous importe vraiment.
Si formellement cette aventure des sens pourra décontenancer les cinéphiles peu patients et aventureux, ses bribes magiques ont quelque chose d’universel. On le voit bien : notre monde part dangereusement en vrille. ABSOLU évoque la quête de sens, la nature qui reprend ses droits, les interrogations des hommes et des femmes qui se demandent si cela vaut encore le coup d’enfanter, de continuer à se battre pour vivre si tant est qu’on se comporte vraiment en vivants… Alors que le chaos, terrible et magnifique, s’abat, le réalisateur fait se succéder des fluides et des rituels, des baisers, des étreintes, des souffles, des incantations, des danses et des chants. Et surtout alors que frappe le désespoir dans un océan de couleurs, il parle de cette faille et de cette force, de ce rêve, cet absolu que reste l’amour.
Depuis ses débuts, Claudius Pan ne cherche pas à être dans la lumière mais d’amener un peu de lumière aux autres, aux âmes égarées dans ce monde qui n’en finit plus de se vider de son sens. Il aurait pu essayer de sortir ABSOLU en salles ou en DVD mais il l’a mis en ligne gratuitement sur sa chaîne Youtube comme il l’avait fait pour ses courts-métrages. Sans communication, sans calcul. Du début à la fin de la chaîne, tout n’est que geste artistique chez lui. ABSOLU est sans l’ombre d’un doute l’oeuvre la plus libre qu’on pourra voir cette année, personnelle et sans concession. Elle n’est pas parfaite, elle n’entre pas dans le moule mais elle brille de mille feux. A chacun de voir s’il se prend prêt pour « Le Grand Oeuvre » auquel il est invité.
Film sorti en 2020 sur la chaîne Youtube de Claudius Pan