FICTIONS LGBT
MY BEAUTIFUL LAUNDRETTE de Stephen Frears : l’amour en mode essorage
Avant de penser à la rentrée et à l’université, Omar (Gordon Warnecke), un jeune pakistanais de la banlieue Sud de Londres, va travailler chez son entrepreneur d’oncle. Il lave des voitures et se fait rapidement remarquer pour son enthousiasme et son ambition. C’est un nouvel univers qui s’ouvre à lui, un monde où l’on gagne de l’argent, où les responsabilités sont synonymes de pouvoir. Tout cela, Omar ne l’a jamais vraiment connu, lui qui vit dans un appartement miteux avec son père, un artiste passionné qui a fini par rater sa vie.
Alors que son oncle lui propose de gérer une laverie en perte de vitesse et fréquentée par des zonards, Omar recroise le chemin d’un vieil ami, Johnny (Daniel Day Lewis). Les deux garçons trafiquent un peu ensemble. Le cousin d’Omar, Salim, lui demande de transporter de la coke, il en garde pour lui et fait fructifier ses doses. Cela lui permet de rénover la laverie tandis que Johnny chasse avec son charisme les parasites. Il y a entre les deux garçons un lien d’amitié très fort. Plus encore : il y a un amour qui se mue de plus en plus en passion. Omar et Johnny vivent dans l’ombre leur romance.
Mais les choses vont progressivement se compliquer. Johnny, le petit voyou en quête de rédemption va finalement être sous le contrôle d’Omar que l’on pensait inoffensif. Bouffé par son ambition, il va devenir manipulateur et traiter tantôt Johnny comme son amant, tantôt comme son serviteur. La nouvelle laverie ouverte, pleine de couleurs, de musique et de lumières, marquera-t-elle le début d’une vie satisfaisante et nouvelle ou le début d’une descente aux enfers ?
Simple téléfilm à l’origine, My beautiful Laundrette est devenu une œuvre culte du cinéma gay et aujourd’hui toujours considérée comme un des meilleurs films de son auteur, Stephen Frears. Le personnage principal d’Omar permet de dresser un double portrait. Tout d’abord celui de la jeunesse, du passage de l’adolescence au monde adulte. Le garçon naïf découvre l’argent, le pouvoir. Il va devoir alors faire un choix entre devenir un entrepreneur ou continuer ses études et se cultiver. Son père adorerait qu’il choisisse la deuxième option. Même s’il a quelque part raté sa vie, il ne regrette pas d’avoir suivi la voie de la passion. Mais il ne constitue pour la peine pas un exemple séduisant pour son fils. L’autre portrait dressé est celui de l’intégration des pakistanais en Angleterre. Et pas n’importe quelle Angleterre : celle de Thatcher. Le racisme existe encore et la relation entre Omar et Johnny fut fragilisée à l’époque par l’intégration de Johnny dans une bande de rebelles aux idées douteuses. Il y a quelque part chez Omar l’envie de montrer qu’il peut réussir, qu’il peut franchir les barrières. Mais chez lui cela ne semble possible qu’avec le pouvoir de l’argent.
Peut-on tout effacer, tout laver sans conséquences ? Stephen Frears situe son intrigue dans une laverie familiale et autant dire que les règlements de comptes (le fameux « lavement de linge sale ») ne tarderont pas à arriver. Car nous sommes face à une famille où la tromperie est presque partout. L’oncle trompe sa femme avec une anglaise, le cousin trafique, Omar cache son homosexualité alors qu’on essaie de le marier à sa cousine…Les personnages de My beautiful Laundrette semblent tous aspirer à un ailleurs, essaient de fuir quelque chose (des codes, une sexualité imposée, une identité raciale). Penser à soi, son bien être, est une chose. Mais attention à ne pas détruire ceux que l’on aime dans sa quête…
La réalisation virtuose et colorée alterne avec un scénario trouble, la musique très 80’s apporte aujourd’hui un côté charmant et décalé. Au-delà des portraits évoqués ci-dessus, My beautiful Laundrette vaut aussi et surtout pour l’histoire d’amour homosexuelle entre Omar et Johnny. Entre l’amitié, le désir, l’envie de possession et le jeu du dominant/dominé. Une œuvre sensible et culte.
Film sorti en 1986. Disponible en DVD et VOD