FICTIONS LGBT
LA CORDE de Alfred Hitchcock : tuer pour le plaisir
Brandon (John Dall) et Phillip (Farley Granger) sont deux jeunes hommes de la bonne société résidant à New York. Ils décident d’étrangler un de leurs amis, David, pour voir la sensation que cela pourrait leur procurer. Lorsqu’il était étudiant, Brandon avait été marqué par les discours dérangeants de son directeur Rupert Cadell (James Stewart). Ce dernier affirmait penser que le meurtre pouvait être un art. Un art réservé à une élite désireuse de jouer avec des êtres inférieurs, déjouant le Bien et le Mal.
Après leur passage à l’acte, les deux hommes, qui sont amants, ont des réactions différentes. Brandon est nerveux mais jubile, ayant trouvé dans son crime une certaine jouissance. Phillip, lui, semble déjà regretter ce qu’il a fait et est angoissé à l’idée que quelqu’un découvre la vérité. Sadique et joueur, Brandon décide de ne pas s’arrêter à son meurtre : il place le cadavre de David dans un coffre, pose le couvert sur ce dernier, le transformant en étrange table, et donne une réception, avec notamment la fiancée de David, les parents de celui-ci et son ancien meilleur ami. Est également convié, pour épicer la soirée, Rupert Cadell. L’ancien directeur de lycée comprend rapidement que quelque chose cloche et mène son enquête. Au départ, cela l’amuse, mais progressivement il va réaliser que ses deux anciens étudiants sont allés trop loin…
Adaptation de la pièce de Patrick Hamilton, La corde est une œuvre assez à part dans la filmographie d’Alfred Hitchcock. Huis clos, l’histoire filmée en temps réel, de façon très fluide, et surtout un long-métrage très masculin, mettant au premier plan deux meurtriers homosexuels. La sexualité de Brandon et Phillip n’est jamais explicitement évoquée mais on sent dès les premiers plans qu’il règne entre eux une forte tension. Leur relation est malsaine, Brandon dominant psychologiquement Phillip, garçon trop faible pour lui, qu’il se plait à mener à la baguette.
Indéniablement pervers, Brandon se donne la sensation d’être Dieu en tuant un de ses amis, qui ne lui avait rien fait. Il passe son temps à se jouer des autres, à les mettre dans des situations de souffrance. Le seul qu’il respecte vraiment, qui l’impressionne, et qui est apte à le faire trembler, bégayer, est son ancien directeur. Car ce dernier a été en quelque sorte son mentor, celui qui lui a permis d’assumer ses idées obscures et morbides. En invitant Rupert Cadell à la soirée, Brandon espère à la fois le duper et plus ou moins consciemment être pris, espérant sans doute l’impressionner.
Riche en sadisme, cynisme et idéologies douteuses, l’œuvre met facilement mal à l’aise et étouffe. Il est quasi-impossible de s’attacher à Brandon. Pourtant on espère curieusement qu’il s’en tirera. Comme souvent chez le cinéaste, beaucoup de thèmes et d’émotions sont brassés. La contamination d’un être par une idée dangereuse, la différence entre la pensée et le passage à l’acte (et leurs conséquences qui peuvent être dévastatrices), les rapports de force, la jeunesse dorée qui se croit tellement supérieure et qui s’ennuie tellement qu’elle fait de la mort un divertissement. Et puis l’homosexualité bien sûr, avec ce coffre à la place du placard, qui cache le cadavre et les secrets.
Si le tout s’apparente souvent à un exercice de style, la réalisation hyper maitrisée et les personnages tous habilement posés, nous font passer un étrange moment, aussi savoureux que dérangeant.
Film sorti en 1950 / Disponible en DVD et VOD