CINEMA

LE BEAU SERGE de Claude Chabrol : retour au village

By  | 

Après de nombreuses années d’absence, François (Jean-Claude Brialy) retourne dans son village natal. Il y vient pour se reposer (il a récemment été très malade), retrouver ses racines. Mais dès son arrivée il ne peut que constater que bien des choses ont changé. Les gens qui vivent dans ce trou paumé sont comme bloqués et souvent la seule distraction possible est d’aller dans le bar du coin pour se saouler. C’est le cas de Serge (Gérard Blain), ami d’enfance de François qui lui apparaît comme méconnaissable. Hier promis à un avenir radieux, Serge semble bloqué dans une vie difficile, marié et avec un enfant trisomique. Désormais il est presque continuellement ivre. François va se donner pour mission de sauver son ami, de le rabibocher avec sa femme Yvonne (Michelle Meritz) qu’il aime et déteste en même temps. Mais peut-on vraiment changer la nature des gens ? Progressivement, le village se fait de plus en plus hostile…

Premier long-métrage de Claude ChabrolLe beau Serge s’inscrit dans la lignée des films de la Nouvelle Vague. Tournage majoritairement en extérieur, villageois campés par des non professionnels du coin, intrigue simple mais efficace et sincère. Tout ceux qui ont un jour quitté leur village et y sont retournés s’y retrouveront. François arrive à la campagne avec sa tête de premier de la classe, son pull chemise cravate. Il est directement en décalage avec les autres habitants qui sont loin d’être aussi apprêtés. Jean-Claude Brialy, beau et gracieux, est totalement taillé pour ce rôle de gentil garçon qui veut bien faire mais qui au final fait plus de mal que de bien.

Car pour ceux qui n’ont pas réussi à quitter le village, François apparaît comme une souffrance. Il est le parisien bien sous tous rapports qui a réussi à refaire sa vie, à en construire une. Si au départ il est accueilli chaleureusement, il va progressivement éveiller les soupçons. La jeune fille facile du village, Marie (Bernadette Lafont) en a après lui, excitée par cette soudaine attraction locale. Elle lui fera remarquer qu’il regarde les habitants comme des insectes. Ce monde qui lui était si familier désormais lui échappe, il ne peut comprendre toute cette destruction.

Petit à petit les masques tombent : en creusant, François découvre les mensonges, les petites trahisons et les attitudes odieuses des villageois. Mais contrairement au prêtre du coin qui semble avoir baissé les bras, François garde la foi et se donne la mission d’essayer d’arranger les choses à son échelle. Yvonne, la femme de Serge, est enceinte pour la deuxième fois. La peur d’avoir à nouveau un enfant trisomique la hante et elle est seule face à cette épreuve puisque Serge fuit ses responsabilités en picolant.

La réalisation est sobre mais sait se faire tantôt onirique ou inquiétante, les personnages sont d’un naturel bluffant. Loin des grands films qui suivront dans sa carrière, à travers lesquels il égratignera avec malice la petite bourgeoisie, Claude Chabrol signe ici un drame sensible à la fois authentique et complexe. La façon dont est abordée la relation entre François et Serge, deux amis qui ne pourront peut-être plus jamais vraiment se retrouver, est assez bouleversante. Pleine de non dits, de confessions manquées, de pudeur destructrice. A travers ce village, François questionne sa propre identité et ses limites. Essoufflé à l’arrivée, il balance : « j’ai cru ». Ce premier long-métrage donnait en effet bien envie de croire déjà au talent de Claude Chabrol.

Film sorti en 1959. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3