FICTIONS LGBT
APARTMENT ZERO de Martin Donovan : ne me quitte pas
Tension, ambiguïtés et folie dans Apartment Zero, film culte et rare avec le jeune Colin Firth dans le rôle principal.
Buenos Aires, 1988. Adrian LeDuc (Colin Firth) n’aime pas beaucoup les gens. Il se méfie des voisins de son immeuble avec qui il limite au maximum les échanges : pas question de les laisser s’infiltrer dans son intimité ! Aux vraies personnes, il préfère les personnages du septième art. Gérant d’un cinéma diffusant des classiques, tout son appartement regorge de cadres photos où l’on retrouve les mythiques Montgomery Clift, James Dean, Elizabeth Taylor…
Alors que son cinéma rencontre quelques difficultés et que sa mère est de plus en plus mal au point dans la clinique où elle est internée, Adrian songe à prendre un colocataire. Après avoir publié une annonce, il rencontre un à un les candidats. Tout le monde lui parait complètement fou et horrible. Et puis arrive le beau Jack Carney (Hart Bochner). Séduisant, magnétique, il lui fait si bonne impression qu’Adrian se retrouve même à insister pour qu’il le rejoigne.
Pour la première fois de sa vie, le cinéphile solitaire a un ami avec qui il partage son quotidien. Cette amitié amoureuse qui ne dit pas son nom le porte. Et quand Jack se met à se lier à leurs voisins, Adrian s’énerve et ne cache pas sa jalousie. Mais peut-il vraiment faire confiance à ce nouveau venu pour lequel il s’emballe un peu trop rapidement ? A l’évidence, Jack mène un double jeu. Il ment sur son travail, use de ses charmes pour séduire les voisins… Les journaux parlent d’une vague de meurtres dans la ville et Jack pourrait qui sait en être l’auteur. Alors que la confiance entre les deux colocataires s’amenuise, leur face la plus sombre s’apprête à ressortir.
Jouissant d’un petit statut de film culte aux Etats-Unis, Apartment Zero est un thriller complètement fou qui n’a pas peur d’aller loin dans la noirceur. C’est avant tout le portrait d’un vieux garçon avant l’heure, campé avec beaucoup de charme, de sensibilité puis d’ambivalence par Colin Firth alors tout jeune. Une mère devenue folle et internée, pas de véritables amis, juste ses idoles de cinéma d’un autre temps autour de lui : c’est peu dire que son quotidien est triste. L’arrivée de Jack vient tout chambouler.
Les deux jeune hommes, contraires (Adrian est introverti et xénophobe sur les bords là où Jack est très sûr de ses charmes et sociable), forment un drôle de duo, vivent comme un couple (Adrian propose à son colocataire de lui faire sa lessive assez rapidement, lui prépare son petit déjeuner, aime savoir ce qu’il fait et est très possessif). Leur amitié fusionnelle teintée d’homosexualité va bien plus déteindre sur Adrian que tout ce qu’il aurait pu imaginer.
Dans la peau de Jack, Hart Bochner transpire le sexe et le spectateur devine vite qu’il est loin d’être aussi lisse qu’il ne prétend l’être. On le voit charmer tous les voisins l’un après l’autre, diffusant son magnétisme sensuel.
Une fois sous le charme de quelqu’un, jusqu’où peut-on aller pour le garder ? C’est une des questions que pose ce film très sombre voire complètement barré (la dernière partie est une plongée sans concession au coeur des ténèbres où les masques tombent avec violence).
Et puis il y a enfin tous ces voisins envahissants et possiblement toxiques. Apartment zero est aussi une variation sur l’intrusion. L’autre est une menace qui a tout moment peut violer l’intimité.
Le duo Colin Firth /Hart Bochner fait des étincelles au coeur d’un rapport de force très intense, le scénario est délicieusement imprévisible (finissant à terme par mêler l’intime au politique), la mise en scène un peu datée (quelques effets de style qui ont mal vieilli et tombent dans le kitsch) mais assurément ambitieuse. Un petit joyau noir à (re)découvrir.
Film produit en 1988. Sorti en 1990 en France. A l’heure de l’écriture de ces lignes le film ne se trouve qu’en import DVD.