LE JOUEUR DE FLÛTE (The Pied Piper) de Jacques Demy : croire en la musique

Allemagne, 1349. Année noire alors que les rats portent la peste et contaminent tout le monde. Un homme et sa famille, tous des artistes, voyagent pour proposer leur art. Ils croisent sur leur chemin un pèlerin et un joueur de flûte (Donovan) qui deviennent leurs amis et compagnons de route. Ils vont tous à Hamlyn, village épargné par la pandémie, où se déroulera le mariage de la petite fille du Bourg-mestre avec le fils guerrier du Baron.

Mais une fois sur place, impossible d’accéder aux festivités : tout est protégé. Chez le Bourg-Mestre la panique règne, sa petite fille est malade et pourrait bien faire capoter son projet de mariage. Mais voilà qu’à l’écoute d’une mélodie lointaine interprétée par le joueur de flûte, la petite fille semble sortir de sa torpeur. On convoque l’artiste pour guérir par la musique la futur mariée. La fillette guérit mais ce genre de guérison est vu d’un très mauvais œil par les représentants de l’Eglise du coin. Alors que le mariage se déroule enfin, des rats envahissent Hamlyn et créent une panique générale. Qui peut donc sauver la population ? Franz (John Hurt) un savant méticuleux cherche un remède; le joueur de flûte propose son aide contre une modestes récompense tandis que l’Eglise appelle à ne rien faire pour laisser Dieu régler lui-même le problème…

Filmé en 1971, The pied piper (Le joueur de flûte en VF) marque une nouvelle incursion de Jacques Demy dans l’univers du conte après Peau d’âne. Ici tout semble pourtant très réaliste, la seule vraie fantaisie étant le pouvoir magique de la musique qu’offre le joueur de flûte. Jacques Demy dresse le portrait d’une société moyenâgeuse peu glorieuse. La majorité des habitants se caractérise par une belle cupidité. Mais le thème principal de cette œuvre truffée de longs plans séquences est avant tout la croyance.

L’Eglise est pointée du doigt, elle qui se permet de régir la société entière avec sa morale douteuse (assez hilarante est la scène des vœux de mariage avec le discours misogyne qui va avec). Le Baron d’Hamlyn se laisse ainsi influencer et entreprend le projet fou de construire une cathédrale, pensant que ce caprice des prêtres lui offrira une place au paradis. Heureusement, la croyance ne s’arrête pas à la religion. On peut très bien avoir foi en l’autre ou en l’art. C’est cette dernière croyance que retient surtout Jacques Demy en nous montrant que face aux pires évènements, la musique, le spectacle, sont les biens les plus précieux. Il y a aussi la science puisque le personnage du vieux Franz est dépeint avec beaucoup de tendresse.

Le joueur de flûte nous plonge dans un univers ancien et champêtre et s’avère progressivement être une œuvre assez pessimiste. Les bons, les justes, ne s’en sortent pas toujours. Bien au contraire. Le petit garçon du film, disciple du savant Franz, va être confronté à une terrible perte des illusions. De son côté, le joueur de flûte qui avait la carrure du héros finit par conclure que même les rats valent mieux que la majorité des humains. La fin du film peut être perçue de deux façons différentes : le joueur de flûte entraine dans son monde tous les enfants de Hamlyn. On peut y voir une vengeance face aux habitants du coin qui ont abusé de sa confiance. Il prendrait ainsi en otage les bambins. On peut aussi penser qu’il tente de sauver ces âmes innocentes du terrible monde corrompu des adultes.

Maitrisé mais pas toujours aussi enchanteur qu’on aurait pu l’espérer, ce long-métrage de commande permet en tout cas de retrouver des thèmes et situations chères à son cinéaste. L’arrivée d’une troupe sur un territoire pour un moment de festivités (comme dans Les demoiselles de Rochefort), les rapports à la lisière de l’amoral (comme dans Peau d’âne), l’influence de la mère sur le destin de sa fille, l’importance de la musique dans la vie…

Film sorti en 1971. Disponible en DVD et en VOD