CINEMA
THE SPECTACULAR NOW de James Ponsoldt : instant présent et addiction
Sutter (Miles Teller) est un adolescent populaire et charmant, qui savoure la beauté de l’instant présent. Alors que les années lycée s’achèvent, il se refuse à penser au futur, à l’après. Si cela ne tenait qu’à lui, il poursuivrait à l’infini une vie rythmée par l’insouciance et les fêtes alcoolisées. Mais autour de lui les choses commencent à changer. Sa petite amie Cassidy (Brie Larson) prend ses distances, provoquant une rupture inattendue, se rapprochant d’un camarade plus posé et cérébral avec lequel elle peut mettre quelques projets en chantier. Sutter a du mal à voir s’éloigner de lui sa reine du bal de promo idéale. Il essaie de s’oublier en accumulant les soirées arrosées.
Un matin, il se réveille dans le jardin d’Aimee (Shailene Woodley). Ils vont dans le même lycée mais ne s’étaient jamais parlé. Alors qu’ils font connaissance, Sutter se laisse séduire par cette fille discrète et pure, très mature pour son âge, vulnérable. Elle va essayer de l’aider à grandir un peu, à terminer son année en étant diplômé. Il va lui apporter le piquant et la magie qui manquaient dans sa petite vie un peu trop réglée de première de la classe. Ils tombent amoureux, Aimee se donne sans réfléchir, se révèle prête à construire une relation sur le long terme. Mais Sutter, encore immature, poursuivant le mirage de la fête, du fantasme et de la liberté, se révèle bien plus instable, mettant à plusieurs reprises en péril leur relation…
Adaptation libre d’un livre de Tim Tharp, The spectacular now est l’un des teen movies les plus émouvants, subtils et bien écrits de la décennie 2010. Le scénario reprend à peu près tous les codes et thématiques des meilleurs films et séries pour ados (le garçon populaire qui entame une relation avec la fille studieuse et discrète / le rapport compliqué au père / les grands fêtes alcoolisées et le traditionnel bal de promo…) tout en parvenant à les transcender. Les protagonistes sont jeunes mais s’expriment très bien, un peu comme dans la série Dawson, et les échanges entre Sutter et Aimee sont d’une justesse peu commune, d’un naturel précieux. Miles Teller et Shailene Woodley explosent à l’écran, révélant un jeu plein de nuances, à fleur de peau, authentique. La mise en scène, délicate (renforcée par une bande-originale du meilleur goût, un montage joliment elliptique et une très belle photographie) porte vers des hauteurs inespérées une trame faussement ordinaire.
Si nous sommes bien devant une romance adolescente, dans un univers codé, qui nous paraît familier, il émane de l’ensemble une noirceur peu commune. C’est avant tout le portrait de Sutter, party boy charismatique, qui veut vivre dans le présent. Il n’a aucune envie de devenir un adulte, de prendre ses responsabilités, de s’engager. C’est ce qui amène sa petite amie, la blonde et populaire Cassidy, à le larguer. Il restera comme elle le dit si bien son « ex petit ami préféré », celui avec lequel elle a bien rigolé, fait les 400 coups avant de se poser. Sutter apparaît comme une joyeuse blague, le mec associé à des tas de bons souvenirs, de fête, mais sur lequel on ne peut pas miser grand chose. Aimee, les pieds sur terre, responsable, n’ayant pas vécu grand chose sentimentalement parlant va pourtant en faire son petit ami, avec l’espoir de bâtir quelque chose de sérieux et solide. Elle va parvenir à le changer en partie, à le faire grandir, à l’amener à réfléchir. Mais la bonté et l’honnêteté de la jeune fille renvoient Sutter à ses failles, son côté obscur qui l’amène à toujours faire les choses de travers, à vouloir tout détruire. Il agit de nombreuses fois comme un véritable goujat, jouant avec les sentiments de sa petite amie qu’il sait pourtant fragile.
L’addiction est l’un des thèmes principaux de ce long-métrage surprenant de densité. L’addiction à l’autre, la passion de l’amour adolescent comme le découvre Aimee. L’addiction de Sutter à ce qu’il désigne comme l’instant présent mais aussi et surtout à l’alcool. Le père d’Aimee est mort prématurément après avoir ingurgité trop de cachets, celui de Sutter a quitté sa famille pour picoler et vivre sans avoir la moindre responsabilité. Les deux ados ont l’opportunité de rebondir, de changer la donne, de tracer leur propre chemin. Mais ils n’ont pas l’air de regarder ensemble vers la même direction. Progressivement, malgré ses sentiments, Aimee est amenée à réaliser que Sutter est son alcool à elle. Il la fait s’évader pour mieux la laisser avec la gueule de bois le lendemain.
A force de ne pas se poser de questions, de profiter de ce que la vie a de plus amusant, de frivole, on peut passer à côté de sa vie, de l’essentiel, transformer la magie du présent en un futur vide de sens. La fin du lycée est une période charnière où l’avenir sentimental et professionnel peuvent se jouer, où certains prennent leur envol et où d’autres peuvent se rater. Sans s’en rendre compte, on peut devenir le loser que l’on se jurait de ne jamais devenir…
The spectacular now dispose d’un titre à la fois joli et un brin ironique, mêle magie et romantisme à une certaine cruauté, jusqu’à un final ambigu et déchirant, apte à hanter le spectateur pour longtemps. C’est intense, hyper sensible, magnifiquement incarné, universel. Un futur teen movie culte.
Film sorti en 2014. Disponible en DVD et VOD