FICTIONS LGBT
BROTHER TO BROTHER de Rodney Evans : jeune, noir et gay
New York, début des années 2000. Perry, jeune gay noir, ne se sent pas toujours à sa place. Peintre et étudiant, il déplore l’attitude de ses camarades de classe qui condamnent le racisme mais qui n’ont aucune envie d’associer un hypothétique militantisme gay à leur cause. Être noir et homo n’est pas encore tous les jours facile et Perry en sait quelque chose, lui qui a été jeté de la maison familiale en raison de ses inclinations. Il n’arrive pas à s’apaiser ni à trouver un compagnon. Il y a bien ce garçon blanc qui est dans sa classe mais celui-ci peine à comprendre et composer avec ses tourments, n’assume pas lui-même totalement son homosexualité…
Travaillant dans un foyer venant en aide aux SDF, Perry se met à discuter avec un homme qui s’avère être le poète et peintre culte de la renaissance d’Harlem : Richard Bruce Nugent. Au fil de longues conversations, ce dernier narre à Perry ses luttes du passé alors qu’il côtoyait des artistes comme Langston Hugues, Zora Neal Hurston ou Wallace Thurman. Comment un homme comme lui a-t-il pu finir sans rien dans la rue ? Pour Perry, cette rencontre va tout changer, renforcer son militantisme et l’aider à canaliser sa colère et sa douleur pour fièrement continuer ses combats…
C’est un film touchant et intéressant d’un point de vue historique que réalise Rodney Evans avec Brother to Brother. Il raconte ici le racisme persistant au début des années 2000. Appartenir à deux minorités à la fois n’est pas un cadeau : à la fois il faut composer avec un racisme pernicieux mais aussi avec l’homophobie et le dénigrement de ses propres « frères ». Les injustices du présent dont souffre Perry vont trouver une résonance dans le récit sur la renaissance d’Harlem que va déployer Richard Bruce Nugent. Ce dernier est passé par les mêmes questionnements, à une époque où il était bien plus difficile de s’assumer mais où la marge faisait bloc et osait davantage. Les passages autour des artistes de la renaissance d’Harlem sont exposés dans un joli noir et blanc et regorgent d’éléments captivants. La difficulté des artistes à imposer leur personnalité (on leur demande de changer de langage, de gommer leur insolence, de se rendre « plus accessibles au public » en donnant dans le sensationnalisme), la culpabilité infligée par leurs semblables (on reproche à ceux qui défendent les droits gays de traîner la communauté noire dans le caniveau !), le reproche hallucinant qui veut qu’être gay et coucher avec un blanc revient à « donner ses fesses à l’ennemi ».
Là où le film est très fort c’est quand il montre à travers Perry que dans une société moderne, la cohabitation entre blancs et noirs est encore teintée de nombreux préjugés. Ainsi sans même s’en rendre compte l’amant de Perry le flatte en lui parlant de ses « belles fesses de black »… Si le combat contre le racisme et la quête identitaire d’un jeune gay sont au centre du métrage, l’oeuvre de Rodney Evans brasse une multitude d’autres thématiques. L’amitié, la fraternité, la fin d’une époque, la jeunesse évaporée… L’écriture est belle, subtile et assez poétique. La forme est un peu plus sage. Brother to Brother est un de ces films attachants, brillant par moments, sensible, qui mérite le coup d’oeil et donne à réfléchir.
Film produit en 2004. Disponible en DVD et sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen