FICTIONS LGBT
THE DESTROYING ANGEL de Peter de Rome : étreintes hallucinées
Torturé, fou et sombre, The Destroying Angel de Peter de Rome est un trip comme on ne pouvait en voir que dans les années 1970. Un des plus grands films de son auteur, Peter de Rome.
Si The Destroying Angel est devenu culte, c’est parce qu’il ne ressemble à aucun autre film x gay et se révèle aussi excitant que formellement inventif, abouti. Le réalisateur Peter de Rome capte l’intensité des rapports entre hommes, dont le plaisir qu’ils procurent peuvent aussi bien amener au septième ciel qu’en enfer. Aujourd’hui le film s’apparente à une étrange prophétie des années Sida. Il est à la base une adaptation libre d’une histoire courte d’Edgar Allan Poe, William Wilson. Flirtant avec l’expérimental, doté d’une bande-originale élégante et perturbante, d’un travail sur le son très bien pensé et d’un montage choc, ce long-métrage marque au fer rouge le spectateur. Une expérience de cinéma entre le conte et la folie pure.
New York, années 1970. Caswell Campbell (Timothy Kent) ,dit Case, rencontre dans un bar gay un grand brun, Bud (Bill Young). Alors qu’il clame être curieux de tout, tout le temps, Case se voit répondre que le meilleur moyen de satisfaire sa curiosité est de céder à la tentation. Comment résister ? Case invite Bud chez lui. Mais à peine sorti du bar, il est confronté à une étrange vision : il aperçoit dans l’appartement d’en face son double, rieur et nu (zoom avant et zoom arrière, montage malin, musique inquiétante tout en piano saccadé : on est de suite plongés dans une drôle d’atmosphère). Hallucination passagère ? Bud le fait monter à l’arrière de sa moto et une fois arrivés à destination compte bien prendre du bon temps. Sur place, il est un peu surpris, à juste titre, par l’appartement de son hôte. Y trône un crucifix, sur une table est disposé une sorte de poignard ancien ainsi qu’un calice. Alors que Bud se déshabille, Case s’observe dans le miroir. Dans une main, un champignon hallucinogène, dans l’autre son sexe. Il retrouve à la place de son reflet son double tétanisant. Bud le ramène à la réalité et lance : « Let’s keep going ! ».
La première scène explicite de Destroying Angel est pour le poins surprenante. Si Tim Kent et Bill Young ne sont pas des acteurs particulièrement hot, la mise en scène fait monter curieusement le désir. La caméra capte l’essence des gestes et des étreintes, c’est très sensoriel. Mais ce qui se présente à nos yeux n’est pas banal : un climat malsain s’instaure. Bruit des gémissements des hommes qui s’abandonnent et souffles maléfiques s’entremêlent. Alors que l’excitation de Case est palpable, la culpabilité l’envahit également. Il a l’impression de voir son double l’observer dans une posture vulgaire, se moquant de lui; le regard de son partenaire très chaud se superpose à des symboles religieux. Le montage saccadé est du meilleur effet et parvient à retranscrire une multitude de sentiments et sensations contradictoires.
Envie de se laisser aller au plaisir mais peur d’être souillé, difficulté d’offrir son corps à l’autre, de laisser la sensation physique nous faire perdre le contrôle de l’âme. Malgré la peur, malgré la douleur, Case veut du sexe, se soumet, se donne lui-même des petites claques. Gros plan d’un sexe se frottant à la peau avant un autre plan montrant côte à côte un crucifix et le casque de motard noir de Bud. La scène est déconcertante, excitante et dérangeante. Après l’effort, Bud se rhabille et ne s’éternise pas. Il laisse entendre à Case avant de partir qu’il n’est pas totalement satisfait du moment qu’ils viennent de partager. Il a senti que Case était ailleurs. Une fois seul, ce dernier est à nouveau confronté à ses étranges visions. Un discours religieux se déploie en voix off. Case est un séminariste qui a pris une pause de 3 mois pour tenter de se retrouver. Mais il n’a pas assez la foi pour parvenir à résister à l’appel de la chair. Les champignons hallucinogènes sont un prétexte pour se désinhiber. Comme le sexe, la drogue devient une addiction.
Le téléphone sonne, Case décroche. C’est son ami John. Ce dernier l’invite à une soirée chez lui le vendredi suivant et laisse entendre qu’un de ses amis tient à le revoir, séduit par lui lors d’une précédente soirée. Le rendez-vous est pris. A peine a-t-il raccroché que Case reprend un champignon. Il se laisse alors dériver en plein fantasme, entre excitation et cauchemar. Dans une dark room, un beau brun énigmatique en jean se caresse avec un air supérieur. D’autres corps le rejoignent, sortant de l’obscurité, jusqu’à former un impressionnant groupe de mâles prêts à jouer. Alors que la mêlée se met à s’entrechoquer, un corps remue au sol. C’est celui de Case, complètement offert. Il se met à genoux et tend les bras de façon assez ambiguë pour que l’on puisse comprendre qu’il a envie d’attraper tous ces délices bien tendus mais aussi percevoir un geste christique.
Avec beaucoup de maîtrise et de souffle, Peter De Rome délivre une scène très perturbante, sorte d’hommage x à Fireworks de Kenneth Anger. Au sol, Case n’est plus qu’un corps offert, que l’on recouvre de jets. Déchéance, ivresse. On se laisse entraîner dans un tourbillon de sauvagerie, les insultes stimulantes fusent, la chair claque. On retrouve Case, étendu dans sa chambre, à moitié inconscient, tentant de reprendre sa respiration.
La soirée du vendredi finit par arriver. Chez John, deux garçons jouent à un jeu de société et Case fait bande à part. Il est à nouveau pris d’une vision de son double qui l’appelle d’une voix intimidante. Ses amis ne peuvent s’empêcher de remarquer qu’il n’a pas l’air d’aller très bien. Heureusement, la « surprise » de John arrive : le beau et jeune Grant (Philip Darden), qui n’est autre que le brun supérieur vu dans le fantasme de la scène précédente. Il ne perd pas de temps et accoste de suite Case. Ils discutent, Case lui raconte qu’après deux ans dans son séminaire il a eu besoin de faire une pause, qu’il doute, qu’il peine à résister à la tentation du corps. Grant lui demande alors s’il a envie de prendre de l’acide avec lui (!).
Case est un peu réticent. Tentateur, le brun suave lui lance des regards qui en disent long et lui propose de partir de la soirée pour aller s’envoyer en l’air. Il demande à John si ça ne le dérange pas qu’ils s’en aillent si tôt. L’ami ne fait pas d’histoire mais finira par le regretter, ses deux autres invités finissant eux aussi par le laisser pour aller faire leur affaire. Chez Case, la fête continue. Grant et lui prennent des champignons. On découvre le séminariste offert sur le lit, presque en transe, prenant un air vulgaire, très aguicheur. Grant, qui vient de délicatement se déshabiller, l’observe avec un air grave et excité. Au lit, c’est l’explosion. En plein ébat, Case est à nouveau sujet à de nombreux flashs et autres hallucinations.
Il a ainsi l’impression qu’ils ne sont pas deux mais trois dans le lit, son double s’étant invité. Le double finit par s’éloigner, apeuré par ce à quoi il est train d’assister. Il continue de regarder alors que Case, en plein acte, rigole de façon sadique, grotesque. Le tour de force de la scène est de parvenir à insérer ces moments schizos, propices à la débandade, et de pourtant toujours faire remonter la tension charnelle. Piano, sons perturbants, râles de plaisir : la machine s’emballe, les corps brûlent, l’image se floute quand, emporté par le désir, Grant se fait plus virulent. C’est peu dire que Philip Darden est explosif. La scène est une réussite totale, cinématographique en diable, d’une efficacité et d’une inventivité rare. Après l’orgasme, Grant dit à Case qu’il aimerait bien remettre le couvert et qu’ils reprennent ensemble des champignons. Case, lui, semble ailleurs, mélancolique. Il lui répond qu’il va probablement partir quelques temps pour essayer de se retrouver.
Case s’en va voir la mer. Le décor et la façon de filmer évoquent Boys in the sand de Wakefield Poole. Après avoir fait trempette, notre homme perdu s’offre une petite balade. Il tombe sur un brun mature, en train de bronzer les fesses à l’air. Il passe son chemin. Chez lui, en plein rasage, Case voit réapparaître son double, son ange maléfique. Ce dernier le met en garde : il connaît le secret de son âme et peut le détruire. Case lui demande où il peut trouver de nouveaux champignons. L’ange lui révèle qu’il y en a dans la forêt. Il part en cueillir. Désormais armé de son stimulant, il retrouve l’homme de la plage et ils vont ensemble chez lui. Et une fois son champignon ingurgité, Case se laisser aller. La mise en scène est saisissante, rendant à la fois déroutants et criants de vérités les actes sexuels, avec un travail sur le son qui nous secoue constamment.
Quelques heures plus tard, Case et l’actif sont au lit, endormis. Case se réveille, réalise qu’il est seul. Air blafard, panique : il va consulter un ouvrage qui lui révèle le piège de son démon dans lequel il est tombé. Il a cueilli trop de champignons, au point de ne pas s’apercevoir que dans le lot il y avait une amanite vireuse (dont le petit nom en anglais est « Destroying Angel ») : un champignon toxique qui peut amener jusqu’à la mort. Son reflet maléfique réapparaît avec son rire glaçant. Case tente de briser le miroir à coup de poignard. Il se tue lui-même. Son âme s’envole. On le retrouve en prêtre dans la scène d’après, observant sa propre tombe, s’allongeant au sol et ne pouvant s’empêcher de se frotter à celui-ci. Le sexe aura définitivement causé sa perte.
Film produit en 1976. Visible sur Nakedsword en VO