FICTIONS LGBT

AIME ET FAIS CE QUE TU VEUX de Malgorzata Szumowska : prêtre tenté

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Une petite bourgade, en Pologne. Adam (Andrzej Chyra) est prêtre et travaille dans un centre accueillant de jeunes délinquants qui ont échappé de justesse à la maison de correction. C’est un homme droit, dévoué, apprécié des habitants du coin. Alors qu’une fidèle, Ewa, femme de son plus proche collaborateur au centre, lui fait des avances, il la repousse poliment. Car il n’a pas le droit de s’adonner au plaisir charnel, car coucher avec une femme mariée serait un pêché mais peut-être pas que…

En effet, Adam refoule depuis un long moment des pulsions homosexuelles. Entouré de jeunes hommes fraîchement sortis de l’adolescence toute la journée, c’est peu dire que la tentation rode. Alors que l’un des jeunes du village, Lukasz (Mateusz Kosciukiewicz), se rapproche de lui, la pression devient un peu trop forte. Sans parler du fait qu’un nouvel arrivant du centre, Adrian (Tomasz Schuchardt), entame une liaison avec un autre camarade et semble avoir deviné les inclinations du prêtre… Peu à peu, Adam commence à douter de lui, de sa foi, de ce qu’il désire vraiment. Il n’a personne pour en parler ou pour le réconforter et recommence à boire en cachette le soir (on devine des antécédents avec la boisson). Le climat s’obscurcit et l’envie de céder à l’appel d’un amour autre que celui de Dieu est plus forte que jamais…

aime et fais ce que tu veux film

Lauréat du Teddy Award à la Berlinale en 2013, succès en Pologne malgré un sujet hyper sensible, Aime et fais ce que tu veux (dont le titre international est In the name of) offre une vision pour le moins sombre du quotidien d’un prêtre à la campagne. Le titre français (en référence à Saint Augustin) oriente légèrement la lecture d’un film à la fois chargé en symboles, en métaphores, et pourtant très subtil. Car à l’évidence lorsque l’on s’est engagé, il n’est définitivement pas possible de faire ce que l’on veut. La vie de privation à laquelle Adam est soumis finit par ébranler sa foi. Et l’homme de Dieu peine de plus en plus à gérer ses pulsions interdites. Il y a la tentation d’aimer, spirituellement et charnellement, le jeune Lukasz (à la beauté un peu christique) mais aussi la tentation primitive qui le foudroie alors qu’il aperçoit le provocant Adrian en pleine étreinte avec un camarade. Ce qu’il ressent ne va pas avec ce qu’il aimerait être, il se blâme, court dans les bois, prie, essaie de se battre mais rien n’y fait. Ses démons intérieurs ne semblent pas nouveaux : on apprend au détour de quelques conversations qu’il a déjà été muté pour d’obscures raisons. Sa vocation lui permet d’apprécier la présence de jeunes hommes, de vivre dans un monde replié où les femmes sont peu nombreuses. Mais ces jeunes hommes, parfois séduisants, émouvants ou excitants, finissent par devenir une menace à ses engagements, son équilibre austère.

En filigrane, entre noirceur et ironie, la réalisatrice dresse le portrait d’une Pologne pieuse dans laquelle il ne fait pas bon d’être différent (en témoigne la scène d’ouverture où un pauvre attardé se fait malmener par des jeunes des alentours). L’homosexualité dans la campagne profonde n’apparait pas concevable et les gays sont condamnés à se cacher ou à intérioriser leurs désirs, quitte à s’autodétruire. La première grande force de Aime et fais ce que tu veux est indéniablement sa mise en scène. C’est très maîtrisé, poétique, renforçant l’ampleur d’un scénario déjà très travaillé. Mais ce qui séduit surtout ici c’est la faculté qu’a Malgorzata Szumowska à nous renvoyer à notre propre regard, nous laissant libre d’interpréter de nombreux éléments jusqu’à un final qui peut aussi bien paraître romantique, noir que cynique. L’un des garçons du centre confesse à demi-mots son homosexualité au Père Adam. Il entame plus tard une liaison avec le vénéneux Adrian. Quelques jours plus tard il est retrouvé mort pendu. S’est-il suicidé à cause de son homosexualité ? N’aurait-il pas plutôt été victime d’Adrian ,tentateur qui ne semble pas assumer ses pulsions se cachant derrière une relative homophobie ? Le collègue marié d’Adam, qui cherche un moment à le couler ne serait-il pas lui aussi un homosexuel refoulé ? On navigue dans un univers faussement calme, où il y a tant de non-dits, une si grande incapacité à assumer ce que l’on est que cela en devient étouffant.

Plus que le récit d’un prêtre confronté à des règles presque inhumaines, ce long-métrage qui ouvre bien des débats interroge aussi et surtout sur l’homosexualité en Pologne. Le point de vue est à la fois très cinématographique, un brin sulfureux, personnel et politique. On est pas surpris qu’il ait provoqué de vives réactions partout où il a été projeté…

Film sorti en 2014 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3