CINEMA
AFTER de Géraldine Maillet : le souvenir d’une nuit
Un soir, à Paris. Julie (Julie Gayet), les cheveux trempés par la pluie, cherche désespérément un taxi. Son téléphone est en rade, elle entre dans un restaurant japonais en espérant pouvoir passer un coup de fil et mettre le plus rapidement possible un terme à ce fâcheux début de soirée. Dans le restaurant se trouve, seul et à l’affût, Guillaume (Raphaël Personnaz). Il engage la conversation, un petit jeu débute.
Il propose de la ramener chez elle en moto, elle refuse, il insiste. Arrivée seule devant chez elle, elle découvre qu’il a suivi son taxi. Petit à petit, elle se laisse intriguer, séduire. Ils passeront la nuit ensemble, à faire connaissance, à se chercher, se rapprocher et s’éloigner… Mais le petit jour venu, que restera-t-il de cette parenthèse pleine de non-dits et de désir ?
Premier long-métrage de la romancière Géraldine Maillet, After est de ces films sur la rencontre durant lesquels deux inconnus s’apprivoisent. A la façon d’un Before Sunrise / Before Sunset, les deux personnages principaux apprennent à se connaître et flanchent l’un pour l’autre tout en parcourant une ville. La comparaison s’arrête là, la réalisatrice ayant préféré (et c’est une démarche assez étonnante venant de quelqu’un issu de l’écriture) miser sur les silences, les regards, les frôlements, le sensoriel. C’est bien connu : le désir, la naissance d’un possible amour, se passent de mots. Ceux qui sortent de la bouche de Julie ou de Guillaume sont trompeurs. Lui en fait toujours trop, accumule les blagues foireuses. Elle semble se cacher derrière son air froid et ses répliques toutes faites pour laisser penser qu’elle veut toujours dire « non » alors que son cœur lui dit de plus en plus « oui ». Tout en subtilité, la nuit avance, la moto de Guillaume l’entraîne d’un endroit à l’autre alors qu’à l’arrière Julie se rapproche progressivement. Chaque lieu est l’occasion de se dévoiler un peu plus, de partager un bout de son univers, revenir sur des souvenirs heureux ou malheureux. Au cœur de la nuit, alors que des fantômes rodent (un mari qu’elle aime mais qui la cadenasse plus qu’elle ne veut l’admettre pour Julie / une vocation ratée et une vie de fugitif pour Guillaume), tout semble possible mais rien n’est joué d’avance.
After est un véritable film d’atmosphère qui fait de Paris un personnage à part entière, un terrain de jeu pour deux âmes égarées qui se trouvent le temps d’une soirée. Une des grandes réussites du projet tient dans sa faculté à rendre cette ville, vue tant de fois au cinéma, surprenante, presque inédite. Comme si aller à la rencontre de l’inconnu changeait tout le paysage : il fait noir, on a un peu peur, on se laisse aller, on a l’impression que plus rien d’autre autour n’existe mais parfois un bruit, un élément perturbateur, vient nous rattraper, nous freiner.
Une femme de quarante ans et un jeune trentenaire, une femme rangée et un garçon sans attache : les opposés s’intriguent et forcément finissent par s’attirer. Ce qui commençait comme un jeu, dans lequel chacun tenait bien son rôle, se révèle peu à peu plus troublant, plus complexe. Derrière son côté dragueur lourd et maladroit, Guillaume est fragile, très vulnérable, en attente de l’autre. Derrière son air froid, Julie est pleine de surprises, d’énergie, d’espièglerie.
Et le désir ? After l’aborde de façon, là encore, inattendue. Pas de passage à l’acte, seulement à un moment la vision partagée d’un couple faisant l’amour dans l’immeuble d’en face. L’enjeu ne tient pas là : finalement peu importe qu’ils couchent ensemble, peu importe qu’ils se mettent ou restent ensemble. La fin est assez ouverte, abstraite, pour que le spectateur projette sa propre vision des choses. Seule certitude : il restera un souvenir, des images, des sensations.
Intimiste, sur le fil comme ses personnages, le film dispose de maladresses qui ne font que renforcer son charme. On se l’approprie, on le ressent, et on se souvient de ces petits lendemains glacés où, la mine un peu déconfite, on rentre chez soi, l’effet d’une gueule de bois sans avoir pourtant rien bu. Il s’est passé quelque chose. Porté par un superbe duo (Raphaël Personnaz, plus beau que jamais et d’une sensibilité exacerbée, et Julie Gayet, mystérieuse et envoûtante) , After fait partie de ces films qui ne sont pas parfaits mais ô combien attachants, et qui, comme une nuit possiblement sans conséquence, laissent malgré tout une empreinte, nous renvoyant à des choses très personnelles, des madeleines, des fantasmes. Beau premier film.
Film sorti en 2013 et disponible en VOD