FICTIONS LGBT
DOWN IN PARIS (Une nuit à Paris) de Antony Hickling : rencontres et lumière
Antony Hickling s’est imposé au fil du temps comme un des réalisateurs gays underground avec lesquels il faut compter. Fan de Derek Jarman, féru d’expérimentations, jamais effrayé par la noirceur, il est l’auteur d’une filmographie sensible, intrigante, souvent passionnante et aventureuse. Avec Down in Paris (qui devrait circuler sous le titre « Une nuit à Paris » chez nous en France), il surprend avec une oeuvre plus linéaire, plus « grand public » quelque part, tout en conservant toute sa singularité et en jouant le premier rôle. Une belle réussite.
Richard (Antony Hickling) est sur le tournage de son nouveau film et s’acharne sur une prise. Submergé par l’angoisse, la fatigue et un ras le bol général, il quitte le plateau sur un coup de tête. Toute son équipe espère le retrouver le lendemain matin mais lui n’est plus sûr d’avoir envie de continuer. Il part marcher dans Paris le temps d’une nuit.
En quelque sorte, Antony Hickling délivre ici son « Cléo de 5 à 7 » nocturne et gay. Down in Paris est un film qui fonctionne comme une déambulation et qui nous fait passer par tout un tas d’émotions au gré des rencontres. Celle dans un bar avec une touriste coquette en mal de romance (Nina Bakhshayesh) qui veut parler à tout prix. Les retrouvailles par hasard et pas très agréables avec un ex (Raphaël Bouvet). Un trajet en taxi où l’on se confie. Une visite express chez une tireuse de tarot (Dominique Frot). Un moment incroyable dans une Église en compagnie d’un bel inconnu (Claudius Pan). Une pause dans un fast food de nuit qui part en vrille (avec Jean-Christophe Bouvet). Le besoin de s’expliquer et de se retrouver avec un vieil ami (Manuel Blanc). Une déambulation en cruising. Un brin de causette avec une prostituée (Claire Loiseau)… et bien plus encore !
Chacune de ces rencontres donne lieu à un échange qui va apporter quelque chose au personnage de Richard qu’incarne parfaitement Antony Hickling et auquel on s’identifie et s’attache très rapidement. C’est au contact des autres que l’on trouve souvent des réponses, qu’on peut apprendre des choses, prendre du recul, remettre certains éléments en cause voire carrément retrouver la foi.
C’est sans doute le long-métrage le mieux écrit d’Antony Hickling, qui collabore ici avec Pierre Guiho et Raphaël Bouvet. On ne voit pas le temps passer, on a l’impression de vivre cette nuit d’errance pleine de surprises qui va de la tristesse et de la colère vers la lumière, des profondeurs de la nuit aux premiers rayons du soleil. Antony Hickling retrouve ici de nombreux acteurs qui ont fondé son univers cinématographique (Manuel Blanc, Jean-Christophe Bouvet et Thomas Laroppe notamment) tout en faisant entrer dans la danse de nouveaux (Claudius Pan, parfait / Dominique Frot absolument démente / Geoffrey Couët ou le beau Mike Fédée). Chaque personnage, chaque acteur/actrice, chaque rôle, est parfaitement à sa place, apporte une note qui fait mouche et rend cette nuit magnétique, belle, profonde.
C’est peut-être le film le plus simple d’Antony Hickling et c’est aussi celui le plus universel, le plus doux, le plus généreux de son auteur. L’angoisse, la noirceur, la douleur et le morbide sont toujours là (c’est d’ailleurs un peu le point de départ) mais l’impulsion de sortir la tête de l’eau, de retrouver la lumière l’emporte sur tout le reste.
Une conversation peut toujours bien ou mal tourner et le film joue sur ce suspense : on ne sait jamais si du pire ressortira le meilleur ou inversement. Tout peut arriver et le personnage de Richard se remet quelque part en jeu à chaque altercation. On oscille entre la violence, la fantaisie, le mystique, le lubrique aussi (une séquence au Dépôt brillamment réalisée).
Il y a l’atmosphère si particulière de Paris la nuit, avec ses lumières, ses drôles d’oiseaux, ses belles et ses mauvaises rencontres, ces coeurs en peine et ce parfum pourtant que malgré tout tout reste possible. Cela fait plaisir de voir sur grand écran un long-métrage qui montre si bien une part de ce quotidien nocturne, à la fois réaliste par moments et parfois presque fantastique. Tout le cast est exceptionnel, au point qu’on a envie de répéter cette marche nocturne encore et encore.
À la fois film somme pour son cinéaste (qui lors d’une séquence hallucinatoire nous livre un mash up d’images de ses précédentes oeuvres, appuyant subtilement le fait que ce projet est quelque part un miroir de son âme, une synthèse de ses obsessions) et nouveau chemin qui s’esquisse, Down in Paris est une totale réussite, pleine d’humanité, sensible, définitivement touchante.
Film produit en 2020 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris. Sortie en salles à Paris au cinéma Luminor le 2 mars 2022