FICTIONS LGBT
DAHMER : l’histoire dense et glaçante du serial killer gay
Nouveau coup de maître pour Ryan Murphy qui avec Dahmer : Monstre – L’histoire de Jeffrey Dahmer nous plonge au coeur des ténèbres en suivant l’histoire glauque et morbide d’un serial killer gay. Énorme carton sur Netflix, cible de nombreuses polémiques, la série est complètement glaçante, parfois dure à regarder mais aussi brillante à bien des niveaux. Un des chocs de 2022.
Le premier épisode nous met direct dans l’ambiance alors qu’on suit Jeffrey Dahmer dans sa « routine meurtrière ». Il sort en boite, fait connaissance avec un mec, finit par mettre un liquide dans son verre et en fait son captif et sa victime potentielle en l’amenant chez lui. La situation a de quoi glacer le sang de nombreux gays adeptes d’aventures d’un soir. En boite ou ailleurs on ne sait au final jamais qui on a vraiment en face de soi et ici c’est le pire du pire qui se produit.
Les cibles de Jeffrey Dahmer étaient majoritairement de jeunes hommes noirs, des cibles plus faciles alors qu’aux Etats-Unis les problèmes de racisme étaient légion et surtout, nous dit cette fiction, à cause des forces de l’ordre qui ne se souciaient guère des problèmes des personnes racisées, dévaluaient leur propos, plaintes et témoignages (l’exemple le plus criant est celui du pauvre Ronald Flowers interprété avec brio par Dyllon Burnside), quand ils ne les harcelaient ou ne les malmenaient pas.
La police prend cher ici : dépassée au mieux, malveillante au pire. On voit des agents rater des occasions évidentes de coincer le tueur provoquant l’inévitable, ne pas prendre en considération les multiples alertes et appels au secours de Glenda Cleveland (excellente Niecy Nash) voisine malheureuse de Jeffrey Dahmer ou encore faisant des blagues atroces aux parents d’anciennes victimes. Et ceux qui sont épinglés pour des fautes professionnelles reste impunis voire célébrés. De quoi donner la nausée.
Comme souvent avec les fictions portant sur un serial killer la narration s’articule autour de plusieurs périodes. On découvre l’enfance difficile de Dahmer avec une mère (Penelope Ann Miller) hautement dépressive, de plus en plus folle et cruelle, faisant de la vie de son époux (Richard Jenkins) un enfer. Enfant taciturne et étrange, Dahmer avait peu d’amis. Les meilleurs moments de complicité qu’il avait avec son père étaient ceux lors desquels ils dissèquaient ensemble des animaux dans le garage familial… Adolescent, Dahmer reste un peu la risée de ses camarades mais en amuse certains par sa bizarrerie. Petit à petit, le monstre se forge et les pulsions macabres aussi. Car comme il l’expliquera plus tard, les pulsions meurtrières de ce garçon détraqué allaient de pair avec un certain plaisir sexuel.
Elève tourmenté et irrégulier, Dahmer a bien du mal à se fondre dans le moule de la société, trouver sa place et garder un travail. Fatigué par son incapacité à rentrer dans le rang et a toujours générer des problèmes son père l’a envoyé vers l’armée mais visiblement cela n’a rien arrangé. On le voit un temps vivre avec sa grand-mère dont il va utiliser la cave pour commettre quelques crimes. Puis dans son propre studio où il ramène d’innocentes victimes pour se livrer à ses rituels monstrueux.
Si certains cherchent à comprendre comment cette personne a pu devenir un tel monstre ( le père notamment va beaucoup culpabiliser et se sentir fautif – il cache lui aussi des pulsions sombres mais qu’il a toujours réussi à contenir), la glaçante vérité est qu’il n’y a pas vraiment de réponses ou d’explications rationnelles. Dahmer apparait tout simplement complètement dérangé et incapable de se maîtriser.
Interprétée à la perfection (Evan Peters dans le rôle principal est magistral), très bien réalisée, archi tendue et frontale (il faut avoir le coeur bien accroché car on voit quand même pas mal d’images dérangeantes – que ce soit des proies humaines ou animales), nettement supérieure au film qui était déjà sorti sur Jeffrey Dahmer, cette série laisse peu de répit dans sa première partie. On est en plein cauchemar. Elle épouse le regard dérangé de son sujet mais heureusement pas exclusivement. L’intrigue prend le temps de s’arrêter et de développer en profondeur certaines victimes. On suit ainsi le calvaire de Ronald Flowers et surtout l’épisode le plus puissant, l’épisode 6, consacré à la victime Tony (Rodney Burford), nous brise le coeur.
A force de voir les meurtres s’accumuler de façon mécanique, la fiction fait qu’on pourrait oublier la terreur infernale ressentie par les victimes et la douleur insupportable des familles endeuillées. En s’arrêtant sur l’adorable Tony, un beau garçon tout doux et sourd qui a presque failli guérir Dahmer par sa bonté, on réalise la cruauté du tueur. Il est irrécupérable et l’humanité et la sensibilité qu’il a en lui ne peuvent que s’incliner face à ses démons le transformant en bourreau.
La deuxième partie du show est moins spectaculaire / sensationnaliste, plus dans l’analyse, et permet de déployer de nombreuses réflexions intéressantes. La starification des tueurs en série, comment les pires actes peuvent fasciner les gens et même devenir un business (le père sort un livre et court les plateaux télévisés, une bande-originale dédiée à Dahmer sort). Et pour les familles des victimes un gouffre que l’argent ou la compassion ne pourront jamais réparer. Il y a des actes insupportables, impardonnables, qui n’ont pas d’égal en terme de sanction dans une société civilisée. Ce qu’a fait Dahmer est horrible et rien de ce qu’il n’aura pu dire ou faire après, une fois derrière les barreaux, ne pourra changer ou réparer le mal qu’il a commis.
La série s’attarde beaucoup sur le personnage combattif de la voisine de Dahmer, Glenda Cleveland. Elle a senti pendant des années que quelque chose de terrible se passait juste à côté de chez elle, elle sentait l’odeur des cadavres, elle vivait dans la peur et dans la terrible impuissance de ne pas arrêter le massacre. Elle va aussi beaucoup se battre pour défendre les victimes et leur mémoire.
Si cette production est une totale réussite c’est par sa faculté à montrer de nombreux points de vue et ressentis, différents regards, sur une tragédie morbide. L’écriture est dense, ne reste jamais en surface et parvient à restituer toute la complexité et l’ambivalence de cette sombre affaire. Il y a une infinité d’angles (le quotidien de Dahmer, son fonctionnement, son enfance, son adolescence, sa relation toxique avec sa mère, sa relation tordue et affectueuse avec son père prêt à tout lui pardonner / le racisme américain, l’isolement et la maltraitance dans les banlieues / le calvaire des jeunes gays victimes / le deuil des familles des défunts, leur difficulté à continuer à vivre / le traumatisme de ceux qui vivaient dans l’immeuble des tueurs / une police à la ramasse ou malveillante, des politiques qui ne restent – parfois malgré eux – qu’en surface des dossiers)
Ca n’est clairement pas pour tout le monde car on se sent souvent très mal lors du visionnage mais à en juger le succès rencontré par la série, sa parfaite exécution est parvenue à captiver beaucoup de monde. Profondément dérangeant et marquant.
Mini-série sortie en 2022 sur Netflix