FICTIONS LGBT
ANIMALS de Nadir Ben Yadir : un film terrible et sans filtre sur l’homophobie
Inspiré de faits réels (le film est dédié à Ihsane Jarfi), Animals de Nadir Ben Yadir est un film sans concession sur une attaque homophobe. Aussi violent et dérangeant que l’Irréversible de Gaspar Noé avait pu l’être à son époque, une oeuvre terrible qui marque au fer rouge et nous plonge au coeur de l’insoutenable.
Brahim (Soufiane Chilah) est un jeune et beau garçon qui a grandi dans une famille musulmane. Son père le voit comme quelqu’un de sensible et d’intelligent. Nous entrons dans le film en le suivant alors qu’il assiste à l’anniversaire de sa maman. Pour l’occasion toute la famille et de nombreux convives sont là. Brahim joue avec son petit neveu quand d’un coup il est interrompu par la mère de celui-ci qui interdit violemment au bambin de rester avec lui.
Alors que les derniers préparatifs sont en cours, Brahim sent que quelque chose cloche. Malgré les mots bienveillants de sa mère et de quelques proches (qui désespèrent tout de même qu’il soit encore célibataire et pas marié à une femme), il a un mauvais pressentiment. Il ne se sent pas tout à fait à sa place. Et pour cause : il cache à sa famille depuis un moment maintenant qu’il est homosexuel. Il a invité à cet anniversaire son compagnon depuis cinq ans, Thomas, qu’il entend présenter comme un ami et collègue de travail. Mais ce dernier tarde à faire son arrivée.
Au fil de ce regroupement familial, le jeune homme découvre que la femme de son frère ( qui n’est autre que la femme qui avait interdit à l’enfant de jouer avec lui) l’a surpris en ville et qu’elle sait désormais qu’il est gay. Son frère a empêché son compagnon de venir et lui déconseille fortement d’être tenté un jour de faire son coming out.
Se sentant mal et inquiet pour son copain, Brahim part. Il le cherche dans un bar gay puis en sortant voit une femme en train d’être agressée par un groupe d’hommes dans une voiture. Il intervient pour lui venir en aide. Puis très bizarrement leur propose de les emmener dans un endroit où ils trouveraient des filles. Il monte dans la voiture. La suite est un lent et interminable cauchemar…
Dès les premières minutes, on sent que ça va être intense. Nadir Ben Yadir filme en caméra épaule et nous plonge dans l’anniversaire de la mère du personnage principal. On épouse son regard, ses sensations : l’angoisse de ne pas être à sa place, la peur que quelque chose dérape. Le réalisateur nous fait ressentir le poids de la tradition, la menace des regards qui en disent long même si ça et là des marques de tendresse jaillissent.
Si l’on ne connait pas l’affaire Ihsane Jarfi dont le long-métrage s’inspire on se demande où tout cela va mener, en ayant quand même un bon gros mauvais pressentiment. Et ça va s’avérer bien pire que tout ce qu’on aurait pu imaginer. Avant de rentrer dans le vif du sujet, pour ne pas spoiler : ce film est infiniment dur et montre sans filtre l’ultra violence homophobe. Il déborde de moments extrêmement tendus, cauchemardesques, ultra violents et traumatisants. Si vous ne supportez pas de voir ça sur un écran, passez votre chemin car vous ne tiendrez pas longtemps. Pour les autres qui n’ont pas peur de se confronter à l’horreur humaine et à la cruauté qui peut exister dans ce monde, Nadir Ben Yadir montre ce qui ne devrait plus exister sans passer par quatre chemins. Si sa très bonne mise en scène nous a directement fait aimer le personnage de Brahim et embrasser ses émotions, le coeur du métrage est archi douloureux.
On entre dans la phase avec spoilers : on a vraiment beaucoup de mal à comprendre ce qui a pu se passer dans la tête du garçon en entrant dans la voiture des quatre hommes qu’il avait vu en train d’agresser une inconnue. Les faits réels dont ce film coup de poing s’inspire ne nous éclaireront pas vraiment là-dessus. Mais une fois entré dans cette voiture, le pauvre Brahim se dirige tout simplement en enfer. L’homophobie crasse se déploie et va monter crescendo, d’une façon infernale, de plus en plus insupportable.
Il y a de terribles histoires et émotions dans les faits divers. Quand on lit que quelqu’un a été agressé ou que l’on consulte un témoignage c’est déjà difficile mais ici on le vit comme en temps réel. Alors oui personne n’a envie de s’infliger ce genre de visionnage à l’issue d’une dure journée mais il faut aussi parfois accepter de regarder en face ce que ces agressions sont vraiment. Le spectateur se sent lui aussi pris en otage, impuissant et sent la terreur monter. On a envie de pleurer, on a envie d’hurler, on est aussi submergé par une infinie colère. Comment peut-on infliger cela à quelqu’un ? Comment peut-on être si monstrueux et dénué d’empathie ? Comment peut-on être aussi bête, violent et sans pitié ? Sadique aussi. On aimerait que ce ne soit pas vrai, que ça ne puisse exister. Mais ça existe.
C’est peu dire que ce qui défile à l’écran, on ne l’oubliera pas. Que faire face à cette atroce réalité ? Peut-on seulement chercher à comprendre ? A un certain stade on a presque même plus envie de trouver une justification. Ce que l’on voit est si humiliant et si barbare, si inexcusable, impardonnable, au-delà du concevable… En ce sens la toute dernière partie (glaçante d’une autre façon) est rude à regarder car on déteste le personnage que l’on suit. Mais il existe, il est là, et juste dire que c’est un monstre ne changera jamais rien. La terrible vérité que semble pointer ce film c’est que cette homophobie qui conduit jusqu’au point de non retour ne sort pas de nulle part. Et que la société a un rôle dans tout ça.
Les agresseurs sont montrés comme des gens assez ordinaires, des beaufs idiots ostracisés et possiblement humiliés par le système qui évacuent leur frustration, leur rage, leur désespoir en s’en prenant à quelqu’un de plus faible qu’eux – aidés ici par l’effet de groupe. En agressant quelqu’un sur qui ils ont la main ils se sentent dans le contrôle, puissants, ils se croient dans un film ou un jeu, ils fixent toutes les règles. Il n’y a assurément pas de fumée sans feu et ici on voit à quel point la société peut engendrer des monstres capables de tout, des bêtes sanguinaires.
Il faudrait montrer ce film à tous les imbéciles qui prennent l’homophobie pour une plaisanterie. Au-delà de sa force cinématographique (formellement l’ensemble est impeccable et terriblement sensoriel), Animals donne à voir la réalité la plus crasse, la plus franche, la plus extrême de l’homophobie. Pitié plus jamais ça.
Film présenté au Festival Chéries Chéris 2022. Sortie en salles le 15 février 2023