FICTIONS LGBT
LES AGITATEURS (Los agitadores) de Marco Berger : entre mecs
Il est sans doute le cinéaste à la filmographie la plus gay. Marco Berger est connu pour son suspense du désir et son fétichisme contagieux pour la gent masculine. Il remet ça avec Les agitateurs (Los agitadores en VO et Horseplay pour le titre international), sorte de variation plus sombre et vénéneuse de son Taekwondo.
Artur (Ivàn Masliah) invite sa bande de potes à passer les fêtes de fin d’année dans une grande villa avec piscine. Les garçons vont passer Noël et le Nouvel an ensemble, avec quantité d’alcool et de substances. S’ils ont pour la majorité entre 25 et 30 ans, les mâles se comportent comme de véritables ados attardés. Ils passent ainsi leurs journées à jouer à la console, regarder des vidéos débiles et surtout à parler de filles, de sexe et à se faire des blagues ultra potaches.
Pour cette bande de gars hyper virilistes, l’effet de groupe a un effet assurément régressif. Leur passe temps préféré consiste à faire des photos et vidéos où ils font semblant d’être gays. Ainsi se plaisent-ils à se moquer les uns des autres en se mettant en scène dans des poses très suggestives (parfois à l’insu de certains – les plus blagueurs jouant avec les corps endormis de leurs camarades), à se lancer des pics teintés d’homophobie.
À la camaraderie faussement bon enfant et graveleuse se mêle une forme d’acharnement, d’harcèlement. Pour exister dans cette troupe, il ne semble pas y avoir d’autre moyen que de se livrer soi-même à la surenchère et à suivre le mouvement.
Au milieu de cette horde de mecs hétéros prétendument alphas, un garçon détonne : Poli (Franco de la Puente), qui observe les agissements de ses camarades en étant peut-être l’un des seuls à en voir ce qu’ils ont de problématique. Plus discret et sensible, Poli cache aux autres son homosexualité.
Petit à petit, nous comprenons qu’au-delà des blagues sur l’homosexualité (ressort comique de la bande pour se chambrer et diminuer la masculinité des uns et des autres), de véritables tensions sexuelles existent, de façon plus ou moins assumées ou refoulées …
On pense instantanément au film Taekwondo que Marco Berger avait déjà réalisé car il reprend le schéma d’un gay en vase clos face à une horde de mecs hétéros sexy et exhibs. Mais Les agitateurs emprunte une toute autre trajectoire.
Les amateurs du travail de ce cinéaste devenu maître de l’homo-érotisme sur grand écran retrouveront son aspect bonbon pour les yeux avec un nombre incalculable de plans fétichistes et hot (avec cette fois-ci un foot fetish très assumé). Mais il se mêle ici à quelque chose de plus trouble que ludique. La camaraderie de façade a de plus en plus de mal à masquer une masculinité toxique et des comportements qui lorgnent vers le harcèlement voire le sadisme. Ces agitateurs aiment rester entre mecs pour jouer, se comparer, se malmener, et prennent un plaisir jouissif à se tirer tous ensemble vers le bas.
On embrasse le regard de Poli, le gay dans le placard de la bande, qui est encerclé par ses potes qui n’arrêtent pas de se mettre à poil, d’exhiber leurs parties intimes et de se mettre en scène dans des poses gays qu’ils tournent en dérision. Comme Poli, on oscille entre un désir brûlant et la culpabilité, l’amusement et la consternation.
Immatures et obsédés, les mâles fêtards ont pour chef de meute Nico (Bruno Giganti). Ce dernier est très ami avec Andy (Agustìn Machta) avec qui il ne semble avoir aucun secret. Ils aiment faire des plans à trois avec des filles, même si Nico est en couple. Nico aime par ailleurs s’acharner sur Poli.
Au fil des festivités, l’ambiance va s’alourdir entre cachotteries et incidents. Va aussi se dessiner un étrange triangle de désir inavoué dont les répercussions vont prendre une ampleur inattendue.
Derrière son aspect faussement anecdotique (le film est une succession de scènes où les personnages parlent de tout et n’importe quoi – jusqu’à l’improbable, ce qui donne quelques moments savoureux et drôles – entre deux blagues régressives et plans contemplatifs érotiques), ce nouveau long-métrage matérialise l’énergie noire d’une masculinité toxique émanant d’une mécanique de groupe jusqu’au point de non retour. La mise en scène de Marco Berger est ainsi à la fois d’une redoutable efficacité dans son filmage bourré de désir des corps masculins que d’une ambiguïté quasi-maléfique.
Film produit en 2022 et présenté au Festival Chéries Chéris 2022