CINEMA
LA BOULANGÈRE DE MONCEAU de Eric Rohmer : gourmandise et manipulations
Court-métrage devenu culte d’Eric Rohmer, La boulangère de Monceau suit un étudiant en droit gourmand et légèrement obsessionnel campé à merveille par le jeune Barbet Schroeder.
Le film s’ouvre sur un jeune homme charmant (Barbet Schroeder) qui nous raconte son histoire en voix off en même temps qu’elle se déploie à l’écran. Etudiant en droit, il a eu une sorte de coup de foudre pour une femme qu’il va croiser régulièrement dans la rue, Sylvie (Michèle Girardon). Il se met en tête de la séduire et de l’inviter à prendre un verre. Mais voilà que juste après avoir osé lui parler pour la première fois la belle disparait. Elle disparait subitement de son quotidien. Amateur de rituels, à défaut de pouvoir recroiser celle dont il souhaitait faire la conquête il va se créer un nouveau cérémonial. Celui-ci va prendre place dans une petite boulangerie.
Se rendant régulièrement dans le petit commerce tenu par une dame et une vendeuse fraichement arrivée (Claudine Soubrier), notre fantasmeur va se faire remarquer car il prend toujours la même chose : un sablé. Progressivement, il sent qu’il fait un petit effet à la vendeuse (ou du moins se persuade-t-il que c’est le cas) et décide de jouer avec elle et de l’inviter à prendre un verre…
L’idée du film est à la fois simple et géniale : le drôle de quotidien d’un étudiant en droit bien occupé pour qui la respiration de la journée consiste à aller manger sa petite pâtisserie, à défaut de pouvoir faire la cour à la fille qui lui plait. Le cadre tout simple de la boulangerie a quelque chose de forcément sucré, un mini palais des délices ou les formes plantureuses de la boulangère (parfois draguée lourdement par des clients, on le comprend) ne laissent pas tout le monde de marbre.
C’est le premier « conte moral » de Rohmer et il est ludique et bourré de charme. On n’oublie pas cette réplique du personnage principal qui dit qu’il pourrait passer sa vie à manger des pâtisseries. Mais ici les apparences sont trompeuses et derrière une douceur et une légèreté très Nouvelle Vague se déploie une véritable cruauté.
Le narrateur incarné par Barbet Schroeder (dont la voix a été doublée) a quelque chose de très chic, s’exprime parfaitement, a un certain magnétisme. Mais derrière ses belles phrases et sa beauté lisse se cache un jeune homme assez retors et manipulateur qui ne manque pas de travers. Quand il ne force pas le hasard pour pouvoir « accoster » celle qui lui plait, il joue avec les sentiments de la boulangère pour satisfaire son égo qui est déjà à l’entendre parler à un niveau assez élevé. La chute sera à la fois amusante, cynique et cruelle selon les points de vue et personnages.
Outre la beauté de Barbet Schroeder (qui rend le personnage aux agissements détestables attirant malgré tout) et une mise en scène libre et rafraichissante (le film a été tourné avec peu de moyens mais il est porté par un véritable souffle, une belle écriture universelle et un univers quotidien qu’on n’a pas envie de quitter), on retient de ce court-métrage attachant la gourmandise de son personnage principal , les déambulations dans un Paris chic de l’époque, et les interactions avec la boulangère du titre, parfaitement incarnée par Claudine Soubrier. On oscille entre malaise, jeux et tension érotique (la fantastique scène où le narrateur propose à la boulangère de lui offrir un gâteau). A voir et revoir.
Film sorti en 1963, disponible en DVD et VOD