ROTTING IN THE SUN de Sebastián Silva : chaos vertigineux

By Gaspard Granaud | 5 novembre 2023

Le réalisateur Sebastián Silva délivre un film barré, inclassable, jouissif et à l’humour très noir avec Rotting in the sun. Une « dramédie » gay grinçante au ton unique. 

Le film s’amuse à brouiller les genres, commençant à la façon d’un docu-fiction, Sebastián Silva jouant son propre rôle. Il n’a à l’évidence pas peur de se moquer de lui-même ou de se montrer sous son pire jour puisqu’ici Sebastian est un cinéaste complètement paumé, hautement dépressif, qui se demande s’il ne devrait pas mettre fin à ses jours à l’aide d’un poison. Pour fuir son vertige de vivre, ses obsessions, son mal-être, il prend des drogues et comate dans son appart / loft arty où il vit en colocation. Pendant ce temps-là, sa femme de ménage, Vero (Catalina Saavedra), effectue ses tâches, spectatrice de la vie dissolue de l’un de ses employeurs et redoutant les sautes d’humeur de l’autre coloc un peu pète-sec qui pourrait très bien la licencier du jour au lendemain. 

Comme on le lui a conseillé, Sebastian essaie de se changer les idées en se rendant sur une plage naturiste gay. Alors qu’il manque de se noyer suite à un improbable concours de circonstances, il tombe nez à nez avec Jordan Firstman (acteur, scénariste, humoriste et influenceur qui joue donc ici lui aussi une certaine version de lui-même). Ce dernier dit être fan de son travail et vouloir absolument collaborer avec lui. Il le drague ouvertement au passage et se fait instantanément et grossièrement familier. 

A la fois intrigué et doucement consterné par la personnalité haute en couleurs et très « réseaux sociaux » de Jordan, Sebastian n’est pas certain de vouloir travailler avec lui… mais il comprend qu’il a le vent en poupe et puisqu’il est en pleine panne d’inspiration et qu’il faut rentrer de l’argent, il commence à prendre tout cela au sérieux. Mais voilà qu’un incident inattendu va tout faire basculer… 

Dès les premières scènes, Rotting in the sun impose un humour totalement absurde et dépressif (notamment à travers cette scène drolatique du chien de Sebastian qui ne peut s’empêcher de manger des excréments). Sebastián Silva n’a pas peur de dessiner un personnage qui porte son nom et qui est le cliché total de l’artiste arty névrosé dépressif et drogué. La façon dont lui et son coloc traitent avec indifférence voire mépris leur femme de ménage ne les rendent pas particulièrement aimables. La peinture faite de Jordan Firstman en hipster sexuellement débridé et au cool forcé n’est pas plus reluisante. Les deux artistes se montrent sans fard et sautent à 200% dans ce projet (Jordan Firstman donne littéralement tout son corps apparaissant nu et dans des scènes très crues – il est rare de voir un acteur assumer à ce point et cela a quelque chose de libérateur ). 

L’incident qui arrive à la fin du premier tiers de métrage va complètement faire vriller l’intrigue. Dès lors, Rotting in the sun va se focaliser sur le personnage à priori le plus humain des environs : Vero, la femme de ménage, campée par l’excellentissime Catalina Saavedra (qui avait déjà joué une femme de ménage borderline dans un précédent film de Sebastián Silva, La nana). 

Avec une admirable habileté, le projet oscille entre docu-fiction, fiction, comédie archi noire, drame social et thriller.  Les situations improbables et répliques acides se multiplient à l’écran et vont de pair avec un filmage brut et nerveux qui fait en sorte que la tension ne retombe jamais. 

Avec réalisme, armé d’un humour féroce, Sebastián Silva capte quelque chose du chaos moderne : misère sociale, misère affective et intime, apparences trompeuses, face sombre de chacun. Il devient dur au final de déterminer qui est la pire personne dans le décor.  On rit beaucoup, même du pire, et on s’interroge aussi sur le monde et les gens qui nous entourent. C’est intelligent, fou et singulier : ni plus ni moins le meilleur film de Sebastián Silva et l’un des meilleurs films sortis en 2023. 

Film sorti en 2023 sur la plateforme Mubi / Présenté au Festival Chéries-Chéris 2023 en séance spéciale