FICTIONS LGBT
DRIFTER (À la dérive) de Hannes Hirsch : bienvenue à Berlin !
Pour son premier long-métrage très attachant, le réalisateur Hannes Hirsch suit l’arrivée à Berlin d’un jeune homme fraichement sorti de l’adolescence. Un récit d’apprentissage et d’émancipation et une déclaration d’amour à l’une des destinations préférées des gays européens.
Moritz (Lorenz Hochhuth), adorable et mignon minet gay, débarque à Berlin pour retrouver son petit ami Jonas (Gustav Schmidt). La première scène du film le présente de façon assez explicite, à genoux devant celui dont il est épris. Sérieux et gentil, ce jeune homme plein de douceur n’a pas peur de prendre des risques : il a changé de ville pour suivre son coeur même sans avoir été accepté à l’Université. Il se dit qu’il se débrouillera.
Ses premiers jours dans la capitale allemande sont baignés d’insouciance et d’un bonheur léger : il découvre le quotidien de Jonas, traîne avec lui et ses amis, cherche des petits boulots (en tant que musicien, il joue de la clarinette).
Mais voilà que brutalement Jonas met maladroitement fin à leur relation et lui demande s’il ne peut pas aller dormir ailleurs. Logiquement sous le choc, Moritz se retrouve dans cette nouvelle ville inconnue sans logement fixe et sans réels amis. Il revoit rapidement Stefan (Oscar Hoppe), un musicien qui a plus ou moins son âge et avec qui il a collaboré. Stefan semble en pincer pour lui mais sans réciprocité et il semble naviguer au sein d’un groupe d’amis qui prennent beaucoup de drogues, ce qui effraie Moritz.
Finalement, le minet au coeur brisé recontacte Noah (Cino Djavid), un vidéaste qui travaille dans un cinéma (qui l’avait précédemment abordé en lui donnant son numéro), et trouve en lui une épaule réconfortante auprès de ce mec qui approche de la fin de la trentaine. Noah lui apporte rapidement ce dont il pense avoir besoin sur le moment : un toit, de l’affection, de la loyauté, un amour doux et stable, confortable. Mais la quinzaine d’années qui les séparent se fait parfois ressentir : Noah vit avec une petite fille et une amie, ses soirées se résument à des diners où Moritz à tendance à s’ennuyer.
Doucement, quelque chose semble travailler le nouveau berlinois. Le film effectue un saut dans le temps et nous le retrouvons quelques temps plus tard en pleine métamorphose, redevenu célibataire et goûtant aux nuits berlinoises et leurs excès…
Il y a un petit côté conte moderne dans ce film d’une belle simplicité et authenticité qui suit la trajectoire d’un jeune gay naïf qui va grandir peu à peu en plongeant au coeur de la nuit berlinoise. Les qualités abondent : une écriture personnelle et sensible qui sent le vécu, un personnage principal très attachant auquel on s’identifie facilement, une mise en scène sobre, douce et immersive qui nous fait vivre l’évolution de son jeune gay perdu et voué à se transformer au contact des atmosphères et des gens.
L’arrivée dans une grande ville, le vertige de se retrouver seul au milieu d’un nouvel espace où l’on ne connait personne et où l’on n’a pas d’appuis : c’est un sentiment universel que filme, matérialise joliment Hannes Hirsch, accroché à son acteur qui suscite constamment la tendresse. On navigue avec lui dans un Berlin en mouvement et plein de surprises, sans savoir ce qui pourra advenir.
Dans un premier temps, Berlin apparait comme une ville intimidante avec ses fêtes qui se poursuivent jusque tard le lendemain, ses fêtards qui absorbent une multitude de drogues et la tentation d’une sexualité débridée. Moritz est un peu naïf, romantique, introverti, et il ne sait pas trop comment se comporter, jusqu’où il a envie d’aller. Il est toutefois plutôt chanceux car il croise plusieurs personnes qui vont lui tendre la main : le jeune daddy en devenir Noah qui va malheureusement servir de pansement affectif, les amis de son ex Jonas (qui va déménager à Londres) qui vont finalement l’adopter et l’intégrer dans leur bande, puis aussi la douce Eleftheria, une fille à la sexualité fluide particulièrement chaleureuse.
On l’a si souvent entendu que cela pourrait presque en devenir un cliché mais tant de personnes gays et queer ont pu se trouver à Berlin, s’émanciper, renaître. Drifter parle de cela, faisant dériver son personnage principal pour l’amener à grandir, s’endurcir et à terme s’affirmer. Si l’amour pour la capitale est palpable, le réalisateur en montre aussi les possibles travers et les excès qui peuvent parfois être dévastateurs. L’euphorie des clubs et du plaisir rapide peuvent parfois aller avec une certaine déchéance. D’abord un peu coincé, Moritz va peu à peu expérimenter, repousser ses limites.
Les personnages secondaires, faussement archétypaux, sont joliment nuancés, échappant de façon rafraichissante aux cases : un mec très viril hétéro en couple (super hot Alexandre Karim Howard) se révèle être plus fluide qu’il n’en a l’air et aime dominer des mecs de temps en temps, un collaborateur énamouré se révèle avoir des penchants soumis BDSM qu’il assume sans honte, la douce Eleftheria est d’abord en couple avec un « gay-hétéro » puis se met en ménage avec une femme, Kasi embrasse sa part de féminité et ne se laisse pas plomber par les mecs qui font de la follophobie…
De rencontre en rencontre, d’expérience en expérience, Moritz picore, essaie, découvre ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, se laisse surprendre et au final devient ce qu’il a envie d’être et se sent bien, au bon endroit. Très bien rythmé, fun, sexy et attachant, Drifter nous rappelle que c’est souvent en se laissant dériver qu’on peut finir par se trouver. Amen !
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023