FICTIONS LGBT
ADVERSAIRE ( Opponent / MOTSTÅNDAREN ) de Milad Alami : seul contre tous et contre soi-même
Le réalisateur suédois Milad Alami propose avec son deuxième long-métrage Adversaire ( Opponent pour le titre international et MOTSTÅNDAREN en VO ) un drame dur et sensible autour d’un lutteur iranien réfugié. Dans le rôle principal, l’acteur Payman Maadi délivre une performance marquante.
Suite à un obscur incident, Iman (Payman Maadi) doit fuir son pays, l’Iran, accompagné de son épouse et de ses deux petites filles. Ils trouvent refuge en Suède où ils se font balader de centre en centre. Le quotidien est loin d’être évident : difficulté à trouver du travail et à survivre, logement social où l’on s’entasse les uns sur les autres… Le film nous montre de façon réaliste, presque documentaire parfois, le dur quotidien des réfugiés où l’espoir a tendance à s’amenuiser. Brusquement on peut être rejeté du pays refuge. Et c’est ce que redoute Iman et sa petite famille alors qu’ils adressent une nouvelle lettre pour essayer de s’assurer de rester sur le territoire suédois. La femme d’Iman vient de tomber enceinte, ils espèrent que cela penchera dans la balance. On encourage également Iman à trouver du travail.
Il n’y a qu’une chose qu’Iman sache vraiment faire : se battre. En Iran, il avait été plusieurs fois champion en tant que lutteur. Un milieu qu’il a fui en même temps que l’Iran. Mais pour gagner sa vie, il va recommencer et combattre pour la Suède. Sa femme ne voit pas d’un bon oeil la reprise de ce sport de combat mais pas seulement en raison de sa violence… Il y a comme qui dirait « un éléphant dans la pièce ». On comprend petit à petit qu’Iman a fui son pays suite à une altercation très violente avec un autre homme. Un homme avec qui il avait une liaison gay cachée… Personne n’en parle mais à l’évidence son épouse comprend très bien ce qu’il s’est passé et préfère ne pas aborder le sujet pour sauver l’équilibre de sa famille. Iman, lui, intériorise et refoule autant que possible.
Le retour dans le monde de la lutte est d’emblée chargé en tension. L’atmosphère homoérotique des vestiaires est filmée entre sentiments de désir et de menace. Et dans le club où Iman va s’entraîner et concourir , il y a évidemment un jeune lutteur sexy qui ne va pas manquer de le troubler : Thomas ( Björn Elgerd, déjà vu et aimé dans la belle romance gay Vivre sans nous, et qui est ici d’un érotisme certain dans sa petite tenue serrée rouge de lutteur ). Tout le film durant, Iman va devoir se battre contre à peu près tout : un pays qui n’accepte pas son orientation sexuelle, sa femme qui menace de repartir en Iran sans lui, ses adversaires sur le ring, le système suédois qui pourrait l’expulser… et surtout et avant tout lui-même. La caméra se pose beaucoup sur le visage du personnage principal et nous fait ressentir sa culpabilité dévorante, le poids de son homosexualité refoulée, le déchirement de ne pas pouvoir être le mari et père qu’il aimerait, la sensation d’emprisonnement intérieur allant de pair avec un quotidien morne et empli de peu d’espoir…
Avec ce long-métrage réaliste mais s’appuyant sur une forme soignée et une mise en scène assez sensorielle, le réalisateur Milad Alami dresse le portrait d’un homme complexe, avec sa sensibilité, ses failles, ses recoins obscurs, ses contradictions. Le désir apparait ici comme vénéneux et on a l’impression que l’étau n’en finit plus de se resserrer. Très bien écrit et mis en image ( à l’instar d’une scène de rêve déchirante et marquante où l’on voit Iman et les siens vivre la vie qu’ils risquent de ne jamais avoir dans une belle maison suédoise ) , Adversaire est d’une grande densité, manie parfaitement plusieurs genres cinématographiques ( drame social, portrait méldoramatique d’un homo refoulé, thriller) et apporte son lot de réflexions sur fond de tension sexuelle homo-érotique (les passages entre lutteurs ne manquent pas d’intensité).
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024