FICTIONS LGBT
LES DÉMONS DE L’AUBE (Los demonios del amanecer) de Julián Hernández : trac d’amour
Avec Les démons de l’aube, le cinéaste gay Julián Hernández revient à une veine plus sentimentale et raconte l’histoire d’un premier amour naïf progressivement troublé par les démons intérieurs de l’un des deux amoureux. Avec une mise en scène comme toujours transcendante.
Mexico. Orlando (Luis Vegas) est un beau jeune homme bisexuel qui rêve de devenir danseur. Fêtard et hédoniste, il essaie de tracer sa route et de suivre avec plus ou moins d’assiduité ses cours de danse et de sport. La nuit, pour gagner sa vie, il travaille comme go-go dancer dans un club avec son meilleur ami. Un jour, en marchant dans la rue, il a un coup de foudre pour un garçon de son âge, Marco (Axel Shuarma), un très lumineux et souriant étudiant infirmier. Il ose l’aborder et rapidement ils entament une passion charnelle et sentimentale.
Jusqu’alors, Orlando n’avait jamais été vraiment frappé par l’amour et s’était toujours lassé très vite. Il se sent pousser des ailes alors que son début de relation avec Marco se révèle idyllique, quitte à délaisser ses amis. Alors qu’un tournage a lieu lors de l’un de ses cours de danse, un cadreur évoluant dans le show business, Andrés (Mauricio Rico), l’incite à postuler à une télé-réalité de danse et lui assure qu’il a tout pour être choisi. D’abord sceptique, Orlando postule et se met à rêver d’être enfin dans la lumière. Il peut compter sur Marco qui le soutient.
Peu de temps après qu’Orlando et Marco aient emménagé ensemble et se soient coupés du reste du monde, complètement emportés par leur amour naissant, les premières difficultés de la relation arrive. Marco a peur d’être malade et quand Orlando le découvre il n’est pas là pour l’épauler. Dans un élan de panique et d’autodestruction, Orlando va se laisser dévorer par ses démons intérieurs : il va petit à petit tout faire de travers avec Marco et fragiliser leur relation…
Cela fait maintenant plus de 20 ans que le cinéaste Julián Hernández trace une filmographie unique, profondément gay. Son style clivant ( une mise en scène toujours sublime au service d’histoires plus abstraites ) a toujours eu son lot de détracteurs mais a aussi conquis un public de cinéphiles passionnés. Popandfilms fait définitivement partie de cette deuxième catégorie. Ce nouvel opus romantique très fidèle à son cinéma et à ses obsessions s’ouvre sur la chanson culte « Never can say goodbye » interprétée par Gloria Gaynor et cette chanson aura son importance, revenant à plusieurs reprises durant le film et se révélant être l’illustration parfaite des dilemmes d’Orlando, l’un des deux personnages principaux.
Encore une fois, et ce dès l’ouverture, on en prend plein les yeux. On ne le dira jamais assez : Julián Hernández est l’un des plus grands cinéastes gays en exercice et sa façon de filmer est un régal constant pour la rétine. Comme toujours chez lui, la forme ici est particulièrement travaillée, le sens du cadre impressionnant et les mouvements de caméra nous rapprochent des cieux. La première partie de ces Démons de l’aube est particulièrement euphorisante, racontant la rencontre et la naissance d’un premier amour, plein d’espoir, de fraicheur, de naïveté et de sensualité. On vit ce rêve éveillé aux côtés d’Orlando et de Marco et un peu comme Orlando on redoute que tout cela soit un peu trop beau pour être vrai.
Julián Hernández revient ici sur un sentiment particulier propre aux premières relations : celui où, alors que les choses deviennent sérieuses et que l’on commence à s’engager, on redoute la suite. Car tout ne peut pas toujours être tout rose et tôt ou tard des difficultés, des doutes ou des conflits peuvent survenir. Si le lumineux personnage de Marco se révèle aussi sentimental que mature pour son jeune âge, celui d’Orlando va se révéler bien plus complexe, immature et ambivalent. Orlando est un peu un jeune macho, habitué à papillonner, à faire le beau et le dur et à ne pas montrer ses failles et ses émotions. Il est aussi, on va le découvrir, assez maladroit et mélancolique. Dans sa tête c’est le bazar, on le voit plusieurs fois se perdre dans ses pensées avec une mine sombre.
Quand Marco craint d’être malade, Orlando n’est pas du tout là pour lui et même le délaisse. La pire attitude possible à avoir en somme. Et au lieu de rectifier le tir, il va creuser son trou encore et encore, incapable de gérer sa culpabilité. Indéniablement adepte plus ou moins consciemment de l’auto-destruction, on le voit s’énerver contre lui-même, se laisser submerger par des pensées négatives qui n’ont pas lieu d’être. Et quand il rate son casting sur lequel il comptait, plutôt que d’en parler à son petit ami il a honte et continue son entreprise de saccage.
Dans les paroles de la chanson « Never can say goodbye » de Gloria Gaynor qui hante ce nouveau film on retrouve ces mots : « Chaque fois que je pense en avoir assez et que je me dirige vers la porte Il y a une vibration très étrange qui m’embrasse jusqu’à la moelle ou me perfore jusqu’à la moelle. Elle me dit de faire demi-tour, espèce d’imbécile, tu sais que tu l’aimes de plus en plus et plus encore. Dis-moi pourquoi c’est comme ça ? Je ne veux pas te laisser partir (…) Je continue à penser que nos problèmes vont bientôt s’arranger… Mais il y a ce même sentiment malheureux, il y a cette angoisse, il y a ce doute. C’est le même vieux problème vertigineux Je ne peux pas faire avec toi ou sans toi ».
Les détracteurs du film seront sans doute ceux qui n’auront pas compris le cheminement du personnage d’Orlando qui réagit de manière imprévisible, fracassant la première partie romantique du film pour en faire un dédale chargé en tourments intérieurs. Un peu comme le personnage d’Orlando, le film se disperse un peu dans sa deuxième partie, flirtant avec un certain chaos qui exige du spectateur une certaine patience. Patience que l’on trouve volontiers tant jamais la mise en scène ne cesse de briller et vibrer.
Avec beaucoup de souffle et une technique qui force l’admiration Julián Hernández aborde avec sensibilité « le trac du premier amour » et ses abysses dans un ballet des corps entre cieux romantiques et ténèbres intérieurs. Avec l’espoir de rattraper les choses avant qu’il ne soit trop tard.
Film produit en 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024