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ACTS OF LOVE de Isidore Bethel & Francis Leplay : à corps et coeur perdus

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Premier long-métrage du jeune cinéaste Isidore Bethel qu’il a cosigné avec son ami Francis Leplay, Acts of Love explore en profondeur et de façon frontale les rencontres et l’intimité entre garçons. Arty, malicieux, à la croisée des genres, unique : une drôle d’expérience souvent surprenante et passionnante. 

Acts of Love commence un peu comme un film qu’aurait pu réaliser jeune François Zabaleta : une voix off, des photographies qui s’enchainent, une atmosphère intimiste et introspective qui se déploie. Isidore Bethel se pose en auteur-sujet. Le projet du métrage part de son expérience personnelle : amoureux d’un homme plus âgé qui est souvent en voyage et donc absent, se sentant délaissé, il est dans une sorte de chaos émotionnel. Sa relation avec son compagnon n’a jamais vraiment été conventionnelle, il sait que son partenaire est un séducteur et qu’il n’est pas du genre exclusif. 

Alors que pourrait se profiler une rupture définitive, Isidore Bethel s’interroge, ne sait plus où il en est et est submergé par une certaine colère. Il va se servir de tout cela comme point de départ pour Acts of Love, projet de cinéma intuitif, expérimental dans tous les sens du terme. Le charmant jeune homme, un peu sale gosse sur les bords, décide de passer un casting sur une application de rencontres gays. Son idée : rencontrer des hommes, les filmer pendant qu’il fait connaissance avec eux et continuer de suivre avec sa caméra ce qui va résulter de ces rencontres. 

acts of love film isidore bethel

L’artiste ne se met pas de barrières de critères pour les profils qu’il va rencontrer. Si son goût pour les hommes plus âgés ressort de façon évidente au fil du métrage, il va aussi expérimenter les rencontres avec des garçons plus jeunes (bien qu’il admette ne pas se sentir forcément à l’aise dans l’intimité avec des partenaires de son âge). 

L’expérience du spectateur face à Acts of Love est très particulière. Cela ressemble à un documentaire ou à de l’autofiction à priori mais Isidore Bethel s’amuse à jouer avec les zones floues, à brouiller les pistes entre ce qui est réel ou clairement mis en scène. Alors que les minutes défilent, il devient de plus en plus difficile de parvenir à distinguer la réalité de la fiction ou du fantasme. 

Certains pourront voir cette oeuvre comme un acte narcissique (chose que par ailleurs le jeune auteur assume totalement). Ici on dirait plutôt que c’est très personnel, brut, authentique. On a l’impression de vivre les rencontres en temps réel, on sent les petits moments de gêne, le désir qui rode voire parfois une certaine confusion des sentiments. 

Il y a eu à l’évidence un gros travail de montage car l’on voit à un moment Isidore Bethel faire un peu de tri face à tout ce qu’il a pu filmer comme entretiens. Il a gardé les rencontres les plus fortes, peut-être les plus emblématiques et elles surprennent souvent. 

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Il y a d’abord cet homme un peu lourdaud et plus âgé qui insiste pour que l’entretien finisse par se faire nu et pour qu’il y ait un peu de contact physique. Isidore Bethel, qui se jette à corps et coeur perdus dans ce projet, n’hésite pas à y aller, à se mettre en danger, à repousser ses propres barrières et limites. Cette rencontre-ci peut paraître perverse, on se dit que jamais le jeune homme ne reverra ce drôle d’inconnu… et au final il va devenir un véritable fil rouge, montrant petit à petit ses sentiments et ses failles. 

Qui se cache derrière ces profils d’applis, ces mecs que l’on rencontre parfois pour un plan et dont il peut arriver qu’on ne connaisse même pas parfois le prénom malgré ce que l’on partage d’intime avec eux ? Le cinéaste, malicieux, capte l’intensité de l’instant et y injecte de la fiction, s’amusant entre autres à faire rejouer des scènes ou à en créer avec ses « dates / acteurs improvisés ». Il n’a pas peur de se montrer sous son aspect le moins reluisant, ne se cachant pas de parfois manipuler les autres et leurs émotions pour construire son art et avancer dans sa quête personnelle. 

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Entre humour, questionnements et tension érotique, Acts of Love regorge de moments inattendus, troublants. Comme cette rencontre avec un jeune mec noir très grand et costaud, au premier abord mignon et touchant et qui va révéler le temps d’une séance photo très tendue ses penchants dominateurs. 

Le film n’est jamais là où on l’attend, un peu comme les garçons que l’auteur-sujet rencontre. Comme c’est le cas pour beaucoup de garçons qui se retrouvent à un stade affectif où ils se sentent perdus, Isidore Bethel se perd dans une succession de rencards plus ou moins hot. Qu’y cherche-t-il ? Il ne le sait pas vraiment. Il attend, comme pour son film, de voir ce qui va se passer. Et l’histoire s’écrit toute seule car quand il y a de l’humain il se passe toujours quelque chose. Peut-être y aura-t-il de l’attraction, du plaisir, des sentiments ou voire même de l’amour ou de la détestation. 

De façon réaliste, crue et ludique aussi, ce film nous plonge dans un chaos du dating gay que nous sommes beaucoup à connaître. L’envie de rencontrer quelqu’un et de connaître l’amour et en même temps parfois le vertige de l’intimité, la question de la fidélité, la soif du toujours plus et du toujours nouveau comme un mirage, la spirale infernale des pulsions et nos petites lâchetés individuelles qu’on ne veut pas toujours voir ou admettre. 

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Parmi les rencontres marquantes du film, il y a également celle avec un daddy déjà en couple qui va progressivement se laisser happer par ce qu’il ressent pour Isidore Bethel. Excitation de transgresser les règles, frisson d’un possible renouveau, le besoin fréquent de s’extirper de la routine du couple.

Il y a enfin un jeune homme rond et noir en pleine découverte des lieux de cruising gay avec qui Isidore va passer du bon temps. C’est peut-être le plus doux de tous car il ne semble pas attendre grand chose, profitant simplement de l’instant sans forcément se poser tout un tas de questions. Est-ce lié au fait qu’il soit plus jeune que les autres participants / prétendants et qu’il soit moins submergé par tout un tas de questions existentielles ? 

Expérience de l’intime, objet cinématographique hybride dont l’aspect chaotique se révèle être un puissant moteur, Acts of Love est sans aucun doute coquin mais aussi sensible et drôle. Les conversations entre le personnage principal et sa mère qui n’approuve pas son projet arrivent comme des respirations très amusantes, renvoyant l’auteur à ses travers et ses doutes. Cette maman aimante et franche, qui dit ce qu’elle pense sans détour, va au final avoir une place plus centrale qu’on ne l’imagine dans l’intrigue. Car elle est pour son fils une source d’amour mais aussi une représentation de l’amour avec le couple conventionnel qu’elle forme avec son époux. Une représentation loin de la passion, l’intensité, l’ivresse que peut parfois rechercher Isidore jusqu’à se faire du mal ou à heurter les autres. 

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Le Acts of Love du titre renvoie à tout un tas de choses. L’acte d’amour désespéré d’un garçon qui se sent délaissé et qui se sert de son art pour évacuer ce qui le ronge. Les actes d’amour simples qui se produisent quand on fait l’amour. Tous ces petits gestes qui nous trahissent quand on finit par craquer pour quelqu’un. L’amour réciproque d’une mère et de son fils qui n’ont pas de filets dans leur communication. 

Curieux, foufou, très vif, divertissant mais aussi introspectif et parfois perturbant, Acts of Love est de ces films d’artistes qui stimulent, qui nous invitent à sortir de notre zone de confort pour nous interroger sur des choses très personnelles et intimes. Si à l’évidence par son aspect expérimental et anticonformiste le projet peut être clivant, il ne manquera pas de toucher en plein coeur les spectateurs qui se laisseront aspirer par cette drôle de quête, artistique, existentielle et sentimentale. Isidore Bethel se révèle définitivement ici comme un jeune auteur des plus intrigants. Fan. 

Film produit en 2021 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3