FICTIONS LGBT

AL BERTO de Vicente Alves do Ó : paradis perdu

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Avec Al Berto, le réalisateur Vicente Alves do Ó nous propose de découvrir l’histoire du poète portugais du même nom à travers une période clé de sa vie nous plongeant au coeur d’un été 1975 au Portugal. Une variation élégante, sensuelle et nostalgique sur la liberté – le tout sur fond d’histoire d’amour.

Jeune, beau, audacieux, courageux et aussi inspiré qu’inspirant, Al Berto Pidwell Tavares (Ricardo Teixeira) est un garçon magnétique qui parvient rapidement à fédérer une bande d’aspirants artistes lorsqu’il revient au Portugal en 1975 après avoir passé du temps à Bruxelles. La révolution a laissé des traces et sa petite ville de Sines repose sur un équilibre instable. Al Berto investit un grand manoir duquel sa famille avait été expulsée. Il y emménage avec ses amis et laisse la porte grande ouverte à tous. Ce lieu, faste et aéré, va devenir un espace de liberté pour bon nombre de marginaux ou laissés pour compte. Hétéros, bis, gays ou lesbiennes y résident ou y passent pour des soirées de folie.

Passionné et charismatique, Al Berto a la fougue de la jeunesse qui rêve. Il veut vivre de son art et aider les jeunes artistes à prendre leur envol en les publiant. Il prend la tête d’une bibliothèque et devient le mentor de garçons et de filles qui comme lui espèrent être artistes et vivre de poésie et d’amour. Il règne pendant un été magique une véritable insouciance. On se régale de textes littéraires et on s’aime sans entrave. Al Berto s’éprend du sexy et à vif João Maria do Ó (un personnage qui vient de la famille du réalisateur du film, incarné par José Pimentão) avec lequel il va vivre une intense et tumultueuse histoire d’amour. Contrairement à lui, João est plein de doutes, de barrières, de peurs et porte encore les séquelles tenaces d’un père homophobe et violent. Cédant parfois à l’autodestruction, il va mettre à mal le coeur encore inexpérimenté d’Al Berto.

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Toute la première partie du film fait l’effet d’un doux rêve entre les après-midi à la plage, les lectures d’artistes et les fêtes fabuleuses et débridées. Un sentiment que tout est possible et que le monde peut être réinventé. De beaux jours semblent pouvoir se profiler pour des personnages qui étaient jusqu’alors en marge, victimes de la misère sociale ou des conventions. Mais alors qu’Al Berto et sa bande ont l’impression de s’élever ensemble vers quelque chose d’unique, petit à petit le tableau s’obscurcit. Ses fêtes au petit parfum de libertinage et sous substance font jaser. Les habitants de Sines ne supportent pas de voir cet homosexuel vivre pleinement et librement sa vie et devenir le mentor de jeunes du coin et les arracher à leur modeste destin tout tracé.

Il y aurait toujours un prix à payer quand on veut s’affranchir de la norme, être et vivre différemment. Al Berto va le découvrir non sans peine alors que la violence des conservateurs de sa ville va s’abattre sur lui. Cette oeuvre sensible va alors devenir le récit douloureux d’un paradis perdu, aussi bien sentimental qu’idéologique.

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Porté par une troupe de jeunes comédiens charnels à souhait (Ricardo Teixeira et José Pimentão forment un couple vibrant et très sensuel), orné d’une belle mise en scène nostalgique, voici un film qui évite bien des écueils du genre du biopic pour se focaliser sur une période clé de la vie d’un artiste qui le marquera à tout jamais ainsi que son art. C’est bien écrit, ample et douloureusement désenchanté. Une belle surprise.

Film produit en 2017 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3