FICTIONS LGBT

ALATA de Michael Mayer : face à l’obscurité

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Nimer (Nicholas Jacob), palestinien et étudiant en psychologie vivant à Ramallah, passe son temps plongé dans ses cahiers en rêvant de partir aux Etats-Unis. Son père est décédé alors qu’il n’avait que 12 ans et dans la maison familiale, on est à cheval sur les traditions. La mère veut marier la sœur avec l’épicier du coin, le grand frère tient à reprendre à la dure le rôle de chef de famille. Quand il découvre que son frère cache des armes chez lui et qu’il appartient à un groupe d’extrémistes, Nimer tente de le ramener à la raison. En vain. Il ne peut se permettre de juger, lui qui fait déjà jaser le quartier pour avoir décroché un laisser passer lui permettant d’étudier un jour dans la semaine à Tel Aviv.

C’est dans cette ville que Nimer peut enfin être lui-même. Un soir, il se rend dans un bar gay pour retrouver son ami palestinien Mustafa, folle exubérante au grand cœur. Il se fait accoster au bar par un beau blond avocat : Roy (Michael Aloni). Ce dernier ne tarde pas à lui montrer qu’il est intéressé, propose de le raccompagner chez lui. Nimer esquive mais repart avec son numéro. Ils se revoient quelques jours plus tard et entament une relation qui va vite sonner comme une évidence. Mais l’horizon s’obscurcit : Mustafa, piégé par la police secrète israélienne, se voit renvoyé au pays où une bande (dans laquelle se trouve le frère de Nimer) le tabasse jusqu’à la mort, lui reprochant d’être « un PD et un collabo ». C’est un terrible avertissement pour Nimer , qui assiste malgré lui à la scène : il comprend qu’il ne vaut mieux pas que sa famille découvre son homosexualité.

Si rien ne semble jouer en leur faveur, Nimer et Roy veulent encore y croire. Même si une frontière les sépare, même si les parents bourgeois de Roy ne cautionnent pas son choix de partenaire… Pourtant, quand Nimer est à son tour confronté à la police secrète israélienne, qui lui fait sauter son laisser passer et menace de révéler son homosexualité à sa famille s’il n’accepte pas de leur rendre quelques services, le jeune homme commence à se laisser abattre. Alors que sa propre vie est en danger, Nimer peine à trouver des options. Il pourrait tenter de fuir, mais comment laisser derrière lui Roy dont il est tombé fou amoureux ?

alata film

Tel Aviv, un amour pur entre un juif et un palestinien, contre le poids et la violence de la société, un petit air de Roméo et Juliette : sur le papier, Alata fait beaucoup penser au film The Bubble d’Eytan Fox. Et si les deux films se font parfois écho (le frère extrémiste, la sœur plus tolérante mais soumise), le réalisateur Michael Mayer impose son propre style. Comme son titre l’indique (la traduction d’Alata se référant à l’obscurité) , le long-métrage se passe la plupart du temps de nuit, dans une atmosphère de plus en plus chargée, paranoïaque.

C’est au cœur de l’obscurité que nous découvrons Nimer, passant la frontière alors qu’il ne détient pas encore de laisser passer. Loin de la lumière du jour, d’une famille où on ne plaisante pas avec la tradition, l’étudiant en psychologie idéaliste, amoureux des droits de l’homme, tente de vivre sa vie. Il rêve de liberté, de pouvoir être qui il est sans avoir à se soucier d’être condamné. Coup de foudre alors qu’il rencontre Roy, séduisant avocat, doux et curieux, attentionné, démonstratif. Nimer se fait d’abord distant, disant préférer se focaliser sur ses études qui finissent par lui permettre d’obtenir un laisser passer et qui pourraient lui permettre de quitter le pays s’il réussit ses examens. Mais l’appel de la passion se fait plus fort que le reste. Les deux garçons se revoient, ne peuvent rapidement plus se passer l’un de l’autre et décident d’affronter ensemble tous les éléments qui se liguent contre eux.

Si nous sommes clairement dans le registre du mélodrame, tout en passion déchirante et interdite, Michael Mayer aime aussi aller voir ailleurs, flirtant avec les codes du film social ou du thriller. La nuit, les rues de Tel Aviv comme de Ramallah se font très dangereuses. La police secrète israélienne traque ses nouvelles proies, soumet à d’horribles chantages de jeunes gays qui n’ont rien fait de mal tandis que les extrémistes palestiniens tabassent jusqu’à la mort les homosexuels qui « déshonorent leur famille ». Nimer ne peut assumer qui il est dans sa ville et n’est pas le bienvenu à Tel Aviv. Comment continuer à vivre, à garder l’espoir, quand tout se retourne contre nous, quand on appartient plus à aucune terre ?

alata film

Pour le jeune palestinien, il n’y a plus que Roy. Ce dernier tente de faire jouer ses relations d’avocat pour l’aider mais il réalise qu’il se bat face à un mur. A la tendresse regnant dans l’appartement de Roy où les deux garçons finissent par vivre leur amour clandestinement s’opposent les menaces perpétuelles à chaque coin de rue. De quoi rendre ce long-métrage intense, tendu. La violence et la mort rodent, les rêves de liberté laissent place à un envahissant désespoir…

Si le scénario n’est au départ pas plus original que ça, Alata ne manque  pas de captiver grâce à un climat nocturne et menaçant. Et surtout, Michael Mayer et ses comédiens parviennent à rendre très crédible et attachante une love story entre deux beaux garçons idéalistes découvrant qu’ils évoluent dans un monde qui ne les laissera pas s’aimer au grand jour. On en ressort sonné et révolté.

Film sorti en 2013. Disponible en DVD aux éditions Outplay et sur la chaîne Hello de Mycanal

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3