ALBUMS
Alpha, Eleventh Trip : arrêter le temps
1997 : le groupe Alpha sort son premier album, Come from heaven. Beauté et volupté : les amateurs de trip hop et d’envolées douces électroniques ont un coup de foudre. Un album qui déjà brouillait le temps et les genres. Suivirent d’autres disques, malheureusement restés confidentiels (comment une merveille comme Stargazing a pu rester en partie dans l’ombre ?? – le mystère reste entier).
2012 : Alpha sort Eleventh trip. Onzième opus, disponible à la vente en digital sur leur site et presque introuvable ailleurs. Le succès ne sera sans doute pas au rendez-vous (mis à part quelques exceptions, les journalistes français n’en ont pas parlé, trop préoccupés à mettre en lumière les dernières dindes hype à la mode dont les visuels et les anecdotes sont plus intéressantes que la musique) mais qu’importe : le plaisir de l’auditeur est là. Alpha nous ramène à la fin des années 1990, dans son univers si particulier. C’est comme si seulement un an était passé depuis Come from heaven. Le trip hop peut être déclaré mort ou trop daté, on s’en fout : on se laisse aspirer par cette nouvelle production qui dès son intro sur fond de confession de junkie (In this) nous replonge entre rêveries et cauchemars. La sensualité venimeuse est toujours là.
Mélancolique à souhait, Eleventh trip est taillé pour l’automne, pour braver le froid, les yeux mouillés qui contemplent les feuilles qui n’en finissent plus de tomber. On s’abandonne à l’écoute de Stay, on comprend presque trop tard que l’invitation était un piège : c’est beau et terriblement triste, on peine à se relever. Plus loin, Don’t stop it’s war et Scream Louder nous donneraient presque la sensation d’être en fin de course, la lumière blanche de la fin commençant déjà par nous aveugler. Cinématographique et tortueuse, cette musique est un délicieux poison à consommer un dimanche de spleen. Quelques chansons déploient leur douceur mélodique, comme pour nous réconforter (Cilla et Sunedune, au goût de dernière chance, nous donnent envie d’aimer plus que jamais).
Nostalgie à l’écoute de Lisbon alors que la chanteuse Wendy Stubbs, présente depuis les débuts de la formation, repointe le bout de son nez. On se délecte à nouveau de sa voix, on frissonne en l’entendant fredonner, comme si l’on retrouvait une amie de longue date. Mais de ce trip intense, on retiendra avant tout comme pièce maîtresse Down. Un joyau noir comme Alpha en a le secret : obsédant, d’une sensibilité désarmante, nous faisant passer des abysses aux cieux avec une simplicité qui bouleverse de plus en plus au fil des écoutes. Un album qui arrête le temps, c’est inestimable.