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ANDER de Roberto Castón : changer les habitudes

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Dans un hameau du Pays Basque, Ander (Joxean Bengoetxea) fait tourner la ferme familiale. Il vit avec sa mère et sa sœur. La mère semble encore attachée au souvenir de son défunt mari et voit de temps en temps un autre homme, vieil ami de la famille. La sœur se prépare à se marier et à quitter le cocon familial. Elle a 14 années de moins qu’Ander qui décidément a du mal à se trouver une compagne.

Ander est un homme solitaire qui passe ses journées à travailler la terre. De temps en temps, il sort avec un ami voisin qui l’emmène boire dans des bars et partage avec lui la prostituée du coin, Reme (Mamen Rivera). Reme vit seule avec son petit garçon, elle a été abandonnée quand son mari a appris qu’elle était enceinte. Depuis, elle attend.

Le quotidien mécanique de la vie à la ferme (et des alentours) bascule quand Ander se blesse à la jambe. Alité, condamné à rester quelques semaines sans travailler, il encourage sa mère à embaucher quelqu’un. Le remplaçant s’appelle Jose (Christian Esquivel), c’est un jeune péruvien. La mère de la famille a du mal à se faire à ce nouvel arrivant qui se lie très vite avec ses enfants. Pour sa part, Ander trouve un nouvel ami et plus encore : rapidement il se sent attiré par Jose. Mais une fois le passage à l’acte effectué, les choses se compliquent. A l’aube des années 2000, dans ce trou paumé aux paysages apaisants mais où les gens ne cessent de ragoter, est-il vraiment possible de s’assumer ? 

ander film roberto caston

Ander commence avec un climat de quiétude et de solitude. Roberto Castón prend son temps pour poser son personnage principal, nous plonge dans son quotidien, sa routine, ses relations avec les deux femmes de sa famille. On comprend vite que la ferme est tout ce qu’il a, qu’il y a comme un manque quelque part. Ander est un homme qui masque ses émotions, un homme qui probablement souffre, retient beaucoup de choses en lui. Sa vie va connaître un tournant avec l’arrivée de Jose. Un homme plus jeune, d’une autre culture, un employé dévoué, une personne timide mais qui a la grande qualité de savoir écouter. Il y a presque instantanément un rapport affectif qui s’instaure entre eux. Mais une fois qu’ils décident de s’abandonner à leurs pulsions, le cœur d’Ander explose. Lui qui a tout gardé à l’intérieur pendant tant d’années semble avoir du mal à accepter cet amour qui s’offre à lui, cette chance de ne plus être seul. Première scène extrêmement forte que celle du passage à l’acte qui vient briser tout romantisme pour exprimer la détresse du personnage principal (je ne vous en dis pas plus mais c’est un vrai coup de poing).

Ce qui fait la force d’Ander et lui permet d’ailleurs de largement dépasser son statut de « Brokeback Mountain au Pays Basque », c’est que ce long-métrage n’est jamais vraiment là où l’attend. Avec une infinie délicatesse, le réalisateur expose, construit sous nos yeux des personnages extrêmement forts. Des personnages qui n’ont rien pour nous faire rêver de prime abord mais dont la saisissante humanité finit par nous foudroyer. Plusieurs scènes confrontent Ander à son corps : un corps mou, fatigué. Un corps « vrai » . L’œuvre joue du non dit, fait passer beaucoup d’émotions par la frustration, des gestes simples.

Avant de rentrer dans la romance avortée entre Ander et Jose, Roberto Castón a bien pris le temps de poser ses protagonistes et le décor. On assiste à plusieurs scènes de repas où chacun a bien sa chaise, sa place, il ne faut pas changer les habitudes. Des scènes de repas souvent drôles d’ailleurs, notamment grâce au personnage de la mère de la famille qui a bien du mal à voir débarquer un étranger dans son foyer. Plus qu’un racisme latent de sa part, on y voit une peur de l’autre.

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Le montage du film opte pour de nombreuses ruptures entre les scènes, Ander se présentant comme un long-métrage peuplé de moments suspendus, forts, révélateurs des personnalités de chacun. Et petit à petit, le sujet de l’homosexualité difficile à assumer dans un bled paumé est transcendé par des portraits de personnages aussi sublimes que bouleversants. On retiendra notamment plusieurs portraits de femmes et surtout celui de Reme (prostituée malgré elle, mère abandonnée, trouvant l’apaisement dans son amitié avec Ander et Jose). Ander est donc avant tout un film sur la solitude, la difficulté de se lier ou de se délier les uns aux autres, sur la peur de la marginalité. La fin du film est assez magnifique, ne manquera pas de provoquer de vives émotions. Tout le long du métrage on voit des réveils. Des réveils qui organisent la vie mécanique de chacun. Ander se demande à un moment si son réveil sera à changer pour l’an 2000, peut-être qu’il ne fera pas la transition avec ce changement de millénaire. Finalement le réveil fera le changement, il s’en surprendra et on lui dira « et pourquoi pas ? ».

C’est le tour de force du film : et pourquoi pas aller contre les idées reçues ? Arrêter d’avoir peur, aller vers l’autre. Mettant en scène des relations pudiques, sensibles entre ses personnages, Ander est une œuvre intense, belle, émouvante et qui au final fait beaucoup de bien.

Film sorti en 2010 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3