FICTIONS LGBT

APRÈS LA NUIT (Monsters) de Marius Olteanu : un couple à Bucarest

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Avec Après la nuit (Monsters en VO), le réalisateur roumain Marius Olteanu sonde avec une précision chirurgicale un couple de trentenaires (une femme hétéro et un homme bisexuel) entre doutes et peur de la solitude. Une oeuvre exigeante et magnétique à la fois.

Une nuit à Bucarest. Dana (Judith State) sort de la gare et prend un taxi pour rentrer chez elle. Sauf qu’une fois arrivée à destination elle ne tient pas à rentrer et finit par louer le taxi pour la nuit. Non loin de là, Arthur (Cristian Popa) se décide après un moment d’hésitation et surtout une blessure intime à rencontrer un inconnu via Grindr. Le lendemain matin, Dana et Arthur sont dans le même lit. Ils sont en couple depuis 10 ans et vont passer un moment en famille… et décider si finalement ils choisissent de rester ensemble ou non.

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Divisé en trois chapitres, Après la nuit est une véritable proposition de cinéma, de celles qui peuvent laisser sur le carreau certains spectateurs peu patients. Le réalisateur Marius Olteanu joue avec la lenteur et le rythme, le silence et le son, pour analyser et faire ressentir au plus près les émotions d’une femme et d’un homme au bord de la séparation (ils ont déjà entrepris de vendre leur appartement).

C’est une oeuvre exigeante à regarder, radicale, qui se mérite, mais c’est peu dire que le spectateur qui se laisse aller et prend quelque part son mal en patience se voit récompenser. C’est d’une absolue finesse et intelligence dans l’écriture, d’une précision remarquable dans la façon de sonder les doutes des personnages ainsi que plus largement les relations humaines. Le titre original, Monsters, est on ne peut mieux choisi : Dana et Arthur évoluent dans une ville de Bucarest souvent asphyxiante et glaçante où les personnes qu’ils croisent dans la vie de tous les jours, qu’ils soient des proches ou des inconnus, sont loin d’être chaleureux. Chaque personne révèle sa part sauvage, monstrueuse, et la solitude est souvent difficile à vivre.

Que ce soit un chauffeur de taxi, un voisin, une rencontre de hasard ou un membre de la famille : tout le monde pose des questions, s’immisce plus ou moins subtilement dans l’intimité, se mêle de ce qui ne le regarde pas. Autrement dit, l’autre est si facilement oppressant, une menace, une douleur. Il est alors forcément tentant de se rattacher à un être aimé que l’on connait bien, en faire une armure contre le reste du monde, s’accorder le droit d’avoir une épaule réconfortante. Mais l’être aimé lui-même peut faire mal, se révéler insaisissable, dangereux. Rien n’est blanc ou noir, tout n’est que nuances et fragile équilibre.

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Si les dialogues, économes mais toujours pertinents voire tranchants, racontent beaucoup de choses des hommes, des femmes et de la société roumaine avec un humour noir dont on se délecte souvent, l’essentiel de cette oeuvre aussi pointue que forte se trouve dans ses respirations, ses silences, ses regards et une mise en scène remarquable (le travail sur la photo et le cadre ont ce je ne sais quoi qui absorbe, attire malgré pourtant un climat potentiellement froid et austère / et le jeu sur le format de l’écran comme métaphore de l’état du couple, des émotions et de l’individualité est franchement brillante).

Fort aussi bien dans sa façon d’aborder parfois les choses frontalement et d’autres fois dans le sous-entendu (clairement les relations entre hommes ne sont pas évidentes dans la Roumanie actuelle à en juger les situations développées à l’écran), Après la nuit avance doucement mais sûrement pour mieux nous chambouler au plus profond. Sans jugement, cette analyse du couple comme mystère, douleur et refuge est d’une maîtrise incontestable.

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2019 // Sortie en salles le 18 décembre 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3