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ARTHUR, SON ANGE de Laure Beaudonnet : jusqu’à l’irréparable
Premier roman de la journaliste Laure Beaudonnet, Arthur, son ange oscille entre portrait sensible et tourmenté d’un petit garçon différent, chronique adolescente et thriller. Tendu, rondement mené et dérangeant, il raconte étape par étape l’avènement d’un monstre.
C’est au départ l’histoire d’un petit garçon ayant été élevé seul par sa mère. Aucune trace du géniteur. Arthur se souvient, nostalgique avant l’heure, des instants où il pouvait sentir l’amour de celle qui l’a mise au monde et où ils s’égosillaient tous les deux à faire des soirées karaoké sur du Céline Dion. Il aurait tant voulu qu’elle « l’aime encore » mais très tôt, trop tôt, quelque chose s’est brisé.
A l’origine, la maman, Véronique, rêvait d’avoir une fille. Elle s’était tellement persuadée qu’elle allait en avoir une , qu’elle avait tout décoré en fonction chez elle. Et puis est arrivé ce petit garçon. Contrairement à la plupart des mères, elle n’a pas trop su cacher sa déception et engendré des actes inconsciemment tordus comme laisser pousser les cheveux de son bambin pendant trois ans pour qu’il ressemble à une petite fille et que certains inconnus l’identifient comme tel.
Se sentant déjà délaissé par une mère ne sachant pas dire je t’aime et devenant distante du jour au lendemain avec lui, Arthur a subi le coup de grâce lorsqu’elle lui a imposé subitement un beau-père beauf et alcoolique. Dès lors, le lien était rompu pour de bon : plus d’espoir. La seule façon que le gamin trouvait pour partager des émotions avec la femme la plus importante de sa vie était de l’effrayer, de façon de plus en plus méticuleuse.
Ce manque de la tendresse maternelle est au coeur du livre. Il traumatise Arthur, enfant bizarre qui a l’impression de n’être qu’une source de problèmes. Toujours dans le plus jeune âge, il trouve lors d’un séjour en vacances à la campagne une figure de mère de substitution chez une voisine, Jeanine. Cette dernière lui octroie l’affection dont il manque et l’initie au travail de la ferme. Outre le fait de traire des vaches, Arthur apprend comment on attrape un lapin pour le cuisiner. La barbarie envers l’animal et les étapes de sa capture à sa mise en cuisine le fascinent. La chasse, la chair, le sang : quelque chose s’éveille en lui.
On devine dès la lecture des premières pages que cela va mal tourner. Arthur est d’office présenté comme un petit garçon différent, anormal, qui sent une sorte de monstruosité en lui. Il aurait besoin d’une attention toute particulière mais sa mère le néglige constamment. Le titre du roman a un goût amer, faisant référence à comment la maman d’Arthur le désignait en public pour passer pour une bonne mère, l’oubliant aussitôt une fois de retour dans la sphère privée.
Avec un style très soigné et élégant, Laure Beaudonnet raconte la douloureuse enfance d’un petit garçon solitaire malgré lui, livré à lui-même, cédant de plus en plus à des obsessions sadiques et morbides. Tous les signes d’un trouble dangereux sont là mais personne ne veut rien voir.
On s’attend à basculer assez rapidement et franchement dans le thriller mais l’autrice créée la surprise en dévoilant dans la deuxième partie de son oeuvre une atmosphère de teen movie. On y retrouve Arthur en ado transparent qui scrute les camarades qui l’entourent : Emilie la fille populaire et cruelle du lycée, Charlotte la meilleure amie de celle-ci qui rêve de sortir avec le surveillant, Thibaut le bogosse guitariste qui drague Emilie… Et puis il y a surtout Diane, une fille au physique ingrat, mal dans sa peau et aux tendances destructrices qui fascine rapidement Arthur. Le temps d’une soirée déterminante, racontée à travers le regard de différents personnages, les enjeux sentimentaux des uns et des autres finissent par donner lieu à un retournement macabre.
Si le sujet premier de Arthur, son ange est le récit de la naissance d’un monstre jusqu’à l’irréparable, le roman capture quelque chose de fort sur la solitude enfantine, sur le mal-être adolescent et sur l’infiltration de la violence lors de ces années où les êtres se construisent. La violence semble ici de façon inéluctable engendrer la violence. Dépossédé de l’amour de sa mère, trouvant du réconfort avec une femme qui lui apprend à sadiser un pauvre lapin, observateur de la vacuité et de la cruauté du monde et des gens qui l’entourent, Arthur avance presqu’irrésistiblement vers le chaos et nous entraîne dans sa chute. Autour de lui, à l’âge adolescent, Emilie la lolita joue avec le feu et cherche absolument à séduire tout ce qui bouge (blessée par une mère qui passe son temps à la dénigrer), le surveillant du lycée se révèle être un prédateur potentiel, l’élève harcelée Diane développe une fascination pour la mutilation…
Laure Beaudonnet joue avec brio sur plusieurs tableau et sans se disperser, passant avec aisance d’un portrait intime de petit garçon à la fois touchant par le manque d’amour qui le consume et flippant par ses tendances sadiques et son attrait de la chair et du sang à une chronique adolescente pleine de mélancolie pour aboutir à une atmosphère de thriller poisseux. C’est très précis, viscéral, avec un parti pris de montrer l’ambivalence d’Arthur, sa folie, sa monstruosité mais aussi sa part d’humanité qui comme on le pressent risque de se laisser submerger par les ténèbres.
S’il y a eu beaucoup de livres, de films ou séries sur les tueurs, celui-ci a l’originalité de rester sur la période de l’enfance et de l’adolescence, ce moment où celui prêt à commettre le pire pourrait peut-être être stoppé avant que coule le sang. C’est la question qui hante à la lecture : peut-on vraiment faire quelque chose pour arrêter un monstre en devenir ? Si le doute persiste, il est certain que souvent derrière un monstre, derrière la violence et le sang, il y a des blessures, des violences antérieures.
Enfin, on notera chez Arthur un petit côté « Norman Bates » : il est dépeint comme un enfant différent qui se plait à mettre les habits de la mère qu’il aime et déteste en même temps suite à ses négligences. Le féminin passe de l’idéal au manque, de l’adoration à la détestation, de la tendresse au morbide.
Fouillé psychologiquement, joliment hybride, implacable et surprenant : ce premier roman a de quoi séduire les lecteurs de tous horizons de par son écriture sensible et cinématographique.
Livre sorti en 2020 aux éditions L’échappée Belle