CINEMA

ATLANTIQUE de Mati Diop : conte d’ailleurs

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Premier long-métrage de Mati Diop en tant que réalisatrice, Atlantique a décroché le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2019. Une oeuvre intrigante qui oscille entre film social, cinéma de genre et conte.

Une banlieue populaire de Dakar. Ada (Mama Sané) est sur le point de se marier avec un homme qu’elle n’a pas choisi. Tout le monde lui répète qu’elle a de la chance : grâce à cette union, elle va pouvoir mener une vie confortable loin de la précarité qui ronge une majeure partie de la population. Et on lui souffle aussi qu’elle ferait mieux d’y mettre un peu plus du sien car on lui rappelle que son mari pourra avoir plusieurs femmes…

Ada n’ose pas aller contre cet avenir imposé mais s’autorise dans le secret à cultiver une romance avec un autre garçon, Souleiman (Ibrahim Traore), qu’elle aime vraiment. Ce dernier est dans une situation très difficile : son employeur ne l’a pas payé depuis plus de trois mois, il est endetté. Un soir, sans la prévenir, il décide de prendre la mer avec plusieurs amis dans la même misère que lui.

Se retrouvant seule et terrorisée à l’idée que Souleiman ne sorte pas vivant de son périple en mer, Ada se focalise du mieux qu’elle peut sur son mariage. Mais le soir des noces, la fête est interrompue par un énigmatique incendie. Les jours qui suivent, des événements paranormaux vont se multiplier dans la ville…

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La première partie d’Atlantique est très réaliste et pudique, montrant une vie à Dakar qui laisse peu de place au rêve. Les classes populaires sont exploitées et humiliées (les riches patrons ne prennent même plus la peine de payer leurs employés, la justice ne fait rien car complètement corrompue), les destins des femmes joués d’avance. Le désespoir et la mort rodent dans le silence. Et puis se déploie une deuxième partie où rêve et cauchemar prennent le dessus. Mati Diop transforme son film social en y insufflant des figures du cinéma de genre pour en faire une sorte de conte intemporel.

L’incursion de l’irréel dans le réel se fait de façon fluide, très douce. On arrive là à la plus grande qualité et aussi au défaut du film : c’est contemplatif, rêveur, la cinéaste soigne beaucoup l’atmosphère parfois au détriment du rythme. Il y a de véritables longueurs, les plans à répétitions sur la mer peuvent finir par manquer de subtilité. Et en même temps il y a ce caractère hypnotique, ces plans tournés de nuit ,enivrants, cette étrangeté qui emporte ailleurs, un geste original, presqu’enfantin, poétique.

S’il n’est peut-être pas le chef d’oeuvre annoncé par certains, Atlantique est indéniablement un beau premier film, peut-être encore trop arty pour permettre à Mati Diop de toucher un large public mais singulier et laissant une jolie trace.

Film sorti le 2 octobre 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3