FICTIONS LGBT

BIJOU de Wakefield Poole : déambulation onirique

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A ceux qui lèveraient les yeux au ciel quand vous essayez de leur expliquer que le cinéma x gay peut être du vrai cinéma, vous pouvez leur montrer Bijou de Wakefield Poole. Ni plus ni moins l’un des plus beaux films du genre qui nous plonge dans une ensorcelante rêverie.

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New York, début des années 1970. Un ouvrier du bâtiment rentre tranquillement de son travail quand il assiste à un accident au beau milieu de la rue. Une femme se fait renverser, son sac atterrit près de l’ouvrier qui le vole discrètement. Il rentre dans son petit appartement où des posters de femmes dénudées s’affichent sur les murs. En vidant le sac, il trouve quelques babioles , une invitation pour un mystérieux club répondant au nom de « Bijou » et du rouge à lèvres. En reniflant ce dernier accessoire, il se retrouve excité, se caresse, puis décide d’aller poursuivre le plaisir solitaire en allant prendre une douche. Une fois propre, il sort, se dirige vers l’énigmatique club. Situé au milieu d’un immeuble, le lieu va le propulser dans un univers fantasmagorique où il va découvrir et se laisser aller à de nouveaux plaisirs, entre hommes…

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Deuxième long-métrage de Wakefield Poole après le mythique Boys in the sandBijou est souvent considéré comme l’un des plus beaux films de toute l’Histoire du Porno Gay. Le film a récemment bénéficié d’une seconde vie, réédité en dvd dans une version restaurée qui permet d’en admirer toute la beauté visuelle et le lyrisme. Les premières minutes nous plongent dans une atmosphère hitchcockienne alors que trois personnages (l’ouvrier, une jeune femme et un homme en voiture) avancent. Le spectateur suit sans le savoir une sorte de ballet vers la mort : l’ouvrier va assister à un accident. Il ne semble pas pour autant sous le choc et repart avec le sac à main de la victime.

Le personnage principal est incarné par Bill Harrison (un pseudo pour celui qui en réalité s’appelait Ronnie Shark), jeune trentenaire aux cheveux châtains clairs, doté d’une jolie barbe, d’un style butch collant bien au fantasme de l’ouvrier. Le réalisateur Wakefield Poole rajoute encore une couche de fantasme en en faisant un hétérosexuel, visiblement en manque à en juger par la décoration de son appartement. Toutefois, dès la première scène de sexe, qui nous permet d’assister au déballage du très imposant engin de l’acteur, on peut remarquer que quand ce dernier se donne du plaisir il fixe son membre, comme fasciné. Après une douche orgasmique, il va à la découverte du club « Bijou ». Dès lors, l’oeuvre bascule dans une énorme rêverie oscillant en permanence entre kitsch et sublime.

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Le « Bijou » ressemble à un sex club gay fantasmagorique. On doit y déposer ses chaussures, puis toutes ses affaires, pour s’y balader dans le plus simple appareil. Si Bill Harrison n’était pas à première vue une bombe sexuelle, la caméra, complètement obsédée par lui et par son manche XXL, n’a de cesse de le sublimer. Tout son corps est magnifié et le modèle se révèle d’un érotisme explosif et fascinant. Face à une galerie de miroirs, l’ouvrier s’admire, se confronte à son narcissisme qui cache des désirs homosexuels jusqu’alors refoulés. Il se caresse en se regardant puis apparait une autre figure masculine. Il avance au milieu de l’obscurité, croisant des objets et figures géantes. Cette marche, hypnotique à souhait, renforcée par une bande-originale somptueuse, est excitante en soi. On est au coeur de la sexualité et de l’inconscient, la tension sexuelle qui monte crescendo se mêle au rêve.

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Perdu et intrigué, l’ouvrier finit par se retrouver face au corps offert d’un éphèbe aux cheveux longs, à l’allure féminine trompeuse et servant de prétexte. Le garçon est allongé au sol, les fesses tendues : l’ouvrier n’y résiste pas. Après avoir joui, il est submergé par une projection de films qui s’enclenche. D’étranges images se mélangent : la victime du début érigé en symbole de la féminité et des jeunes hommes se caressant de façon lascive. La confusion des désirs est de mise, l’ouvrier ne sait plus où il en est, il est juste dans un irrésistible état d’excitation permanent. Suit une orgie délicate : petit à petit les garçons avancent vers l’hétéro qui se laisse initier dans la volupté aux plaisirs gays. C’est sans doute l’une des plus belles orgies de toute l’histoire du x : c’est filmé avec une douceur, une passion, une bienveillance comme le porno ne sait plus en faire depuis hélas trop longtemps. Si les corps qui s’emboitent ici sont ceux d’inconnus partageant une étreinte furtive, cette dernière est montrée comme la plus grande merveille du monde. De par sa façon de chorégraphier l’acte sexuel et ses gestes, dans une langueur des plus stimulantes, Wakefield Poole nous rappelle comme tout cela peut être beau, comme le sexe est à la fois la chose la plus naturelle et le délice le plus surnaturel.

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Il n’y a pratiquement aucun dialogue dans « Bijou » : tout tient dans les mouvements des corps, dans les regards et dans la musique. On se surprend à admirer le spectacle, la bouche grande ouverte, avec l’impression de naviguer au beau milieu d’un rêve enfumé. Réalisé avec peu de moyens, tourné dans l’appartement où le réalisateur vivait à l’époque, cette pépite cultissime épate encore aujourd’hui par ses trouvailles visuelles, son exploration du désir gay. A chaque vision, on a l’impression de se confronter un peu plus à nos propres fantasmes et pulsions. Le must have de tout pornophile et amateur de cinéma gay qui se respecte. Une bande-annonce est visible ici

Produit en 1972 / Le film est disponible en Import DVD dans une version restaurée

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3