FICTIONS LGBT

BLEU NUIT (Sequin in a Blue Room) de Samuel Van Grinsven : jeux dangereux

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Premier long-métrage australien du jeune réalisateur Samuel Van Grinsven, Bleu Nuit (Sequin in a Blue Room en VO) suit la trajectoire d’un jeune gay de 16 ans qui utilise une app de drague gay. Accumuler les rencontres éphémères à cet âge où l’on se cherche encore est forcément un jeu possiblement dangereux… 

Il se fait appeler Sequin (Conor Leach), il a 16 ans, il vit seul avec son père qui a visiblement bien accepté son homosexualité et essaie d’être un papa cool : il ne pose pas trop de questions à son fils et le laisse sortir pour faire des rencontres, pensant qu’il va à des dates. Sauf que les dates, ça n’est pas vraiment le truc de Sequin qui est pour le moins précoce. Il passe ses journées sur une application de drague gay et raffole des rencontres sans lendemain. L’adrénaline du moment où l’on arrive devant un immeuble et que l’on demande le code, la singularité de chaque partenaire, les moments bestiaux qui se passent de mots… 

Sequin aime rencontrer des mecs de tous âges (qui sont quand même en général plutôt actifs), arrive avec toujours sur lui un petit accessoire mode qui fait qu’il retient souvent l’attention. Malheur toutefois à ceux qui aimeraient en savoir plus ou le revoir : même quand c’est très bon, après le plan, Sequin bloque le profil qu’il vient de rencontrer. Une façon de ne pas s’attacher. 

Les choses basculent légèrement quand il rencontre un daddy (possiblement un homme marié) qui développe une obsession grandissante vis-à-vis de lui. Sequin le retrouve par hasard dans une grande soirée hot et cherche à le fuir. C’est là qu’il est secouru par un jeune et bel inconnu pour qui il va avoir pour la première fois un petit coup de coeur. Suite à cette nuit dans cette soirée appelée « Blue Room », les choses vont petit à petit dérailler, confrontant Sequin au réel danger des applications quand on est plus jeune et naïf qu’on ne voudrait le penser… 

bleu nuit film samuel van grinsven

A l’évidence, le réalisateur Samuel Van Grinsven est fan de culture gay et il présente d’ailleurs son oeuvre dans le générique d’ouverture comme un « film homosexuel ». Cela fait plaisir de voir un artiste qui n’a pas peur de revendiquer, ou de jouer du moins, avec cette étiquette. Bleu Nuit s’ouvre alors que son jeune héros principal est absorbé par une bande-dessinée assez crue. La culture cruising gay et les rencontres furtives de plaisir le fascinent. Et il n’hésite pas à passer rapidement du fantasme à la pratique. 

Le projet dans sa première partie est un portrait juste et sans jugement des plans que l’on a vite fait d’accumuler quand on devient un peu accro aux applications de rencontres gays. Tant de possibilités, des rendez-vous rapidement fixés, du plaisir instantané et à priori sans conséquence. Mais ici il y a quand même une spécificité non négligeable : le jeune homme qui accumule les rencontres a 16 ans, va au lycée et vit encore avec son père. Il est en pleine découverte de sa sexualité et de son identité. 

Je n’y avais jamais pensé mais il est vrai qu’au final pour un mineur il peut être aisé aujourd’hui de se créer un profil sur une app type Grindr et de commencer à rencontrer des mecs. Et ça peut être tellement dangereux pour eux ! Evidemment que les propositions ne manquent pas pour Sequin qui colle parfaitement au cliché fantasmatique du bottom minet que peuvent avoir certains utilisateurs. Mais à 16 ans est-on vraiment armé pour faire face à la violence, la souffrance psychologique ou émotionnelle que peuvent provoquer ces applications ? Sequin est un garçon intelligent, vif, mais il se surestime sans doute en pensant qu’il est assez mature pour tout ça et qu’il mène la danse. Il va vite se retrouver pris au piège. 

Le film a de par le choix de son protagoniste principal un côté un peu subversif, il se plait à jouer de l’atmosphère glaciale / clinique des plans qui s’accumulent. D’emblée on sent une vraie mise en scène, un univers, un regard qui détonne. Bleu Nuit a quelque chose de de rafraichissant tout en étant assez exigeant. 

bleu nuit film samuel van grinsven
bleu nuit film samuel van grinsven

Le long-métrage prend un grand tournant à partir du moment où Sequin découvre la soirée « Blue Room ». Une soirée irréelle qui pourrait être un pur fantasme, filmée de façon hyper cinématographique, sensorielle et sensuelle. A partir de là, l’apparente légèreté et ce qui ne semblait être qu’un jeu anodin se voit rattraper par les zones d’ombre, des menaces, du drame.

Alors que le personnage principal se voit obligé de questionner la possible toxicité et dangerosité des rencontres anonymes, le réalisateur Samuel Van Grinsven accentue le caractère atmosphérique de son oeuvre et y apporte quelques touches de thriller vertigineux. 

Un peu comme Sequin, Bleu Nuit est libre, audacieux, insolent mais aussi plus sensible et fragile qu’il n’en a l’air. Un très intrigant premier film, pulsionnel, magnétique et sensoriel . 

Film produit en 2019 et disponible en DVD et VOD aux éditions Optimale ainsi que sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3