FICTIONS LGBT

CHEMSEX, le documentaire glaçant de William Fairman et Max Gogarty

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C’est l’un des documentaires les plus choquants de ces dernières années, un des plus trashs aussi. Chemsex est une plongée sans concession dans l’enfer du sexe gay sous drogue. Un phénomène qui ne cesse hélas de s’étendre et en particulier au Royaume-Uni où ce long-métrage, produit par VICE, a été produit.

Dans les nuits chaudes de Londres et des grandes villes, des gays en quête de sensations fortes testent les « plans chems », comprendre des plans sous drogue. De la cocaïne, des ecstas et puis rapidement des substances plus dures encore comme la crystal meth. Pris dans un engrenage, les garçons ne se contentent plus de sniffer et se piquent, se ratant parfois et finissant aux urgences. Dès l’introduction, le spectateur est confronté à une réalité crue, au glauque de la situation critique et pathétique d’un mec qui se fait son shoot et se transforme à l’écran en une bête assoifée de sexe hard, prête à se prendre n’importe quel sexe.

Formellement parlant, Chemsex oscille entre « le documentaire à témoignages » assez classique et presque consensuel (les addicts viennent s’asseoir sur une chaise et racontent leur quotidien, leur histoire, la plupart s’effondrant en larmes en réalisant dans quel pétrin ils ont mis les pieds sans même s’en rendre compte) et des passages davantage mis en scène où l’on nous plonge « en situation ». C’est à travers cet aspect que le film renverse complètement, nous plongeant au sein d’une orgie sous drogue sans protection (le film est sorti avant que la Prep ne soit vraiment démocratisée) ou au coeur de plans qui donnent ni plus ni moins l’envie de pleurer ou de hurler « Mais pourquoi ?! ».

chemsex film

Terrible constat : n’importe qui semble pouvoir flancher et être exposé à ce qui n’est autre qu’une addiction aux risques hautement mortels. La drogue, qu’on veuille l’admettre ou non, reste associée à quelque chose de cool, d’interdit et de sexy. Mêlée au sexe, elle provoque des ravages inégalés. Tous les interrogés s’accordent pour dire qu’en essayant de faire du sexe sous drogue ils ont pris le pied de leur vie, découvert un monde inédit et incroyablement jouissif. Orgasmes décuplés, sensation d’abandon de soi totale, plus aucune inhibition… Il suffit d’être un garçon un peu mal dans sa peau ou manquant simplement d’assurance pour vaciller.

Les raisons « pour en arriver là » sont multiples : certains ont pris de la drogue pour oser faire des plans hard qu’ils ne se sentaient pas capables de faire en étant « sobres ». D’autres sont portés par des pulsions irrésistibles de transgression ou d’autodestruction. Une fois qu’on essaie, difficile de s’arrêter : la jouissance est forte, le réel file le blues, l’addiction est double et devient indissociable. Les garçons veulent toujours plus de sexe trash et prennent toujours plus de drogues, au point de se transformer, de devenir des animaux à moitié désincarnés, des bouts de viande qui se jettent volontairement en pâture à des dominateurs méprisants qui les font « tourner » dans des orgies.

Pour tenter de remédier à ce phénomène qui s’étend progressivement à toute l’Europe, on essaie de mettre en place des associations, des centres. Au Royaume-Uni existe ainsi un établissement unique en son genre qui prend vraiment le temps d’écouter, épauler et tenter de guérir des garçons devenus des junkies.

L’horreur dans tout cela est que, presque automatiquement, les adeptes de ce type de plans finissent par céder à la tentation du sexe sans capote. Chemsex nous plonge ainsi dans l’enfer des partouzes bareback, des cercles de contamination, recueille le témoignage d’un garçon qui espère avoir le Sida en se disant qu’au moins « ça ce sera fait, plus peur d’être malade ».

Est pointée du doigt une génération désincarnée, addict aux applis de rencontres, à la surconsommation, en quête permanente d’un frisson, d’un « toujours plus ». Alors que les droits des gays avancent, certains marginaux s’excluent volontairement, rejettent qui ils sont pour provoquer leur propre chute. Bien sûr beaucoup des profils présents dans ce documentaire sont des personnes ayant souffert de rejet, d’homophobie, qui ont subi à un moment un traumatisme. Mais la moitié, et c’est là le plus flippant, sont des mecs ordinaires, qui se sont juste perdus et explosés parce qu’ils cherchaient juste à faire une expérience, à se livrer à quelque chose de tabou.

Très frontal (ce qui inclut des passages sexuels explicites), Chemsex propose une immersion totale en plein enfer. Par moments, le film est difficilement supportable tant ce qu’il montre relève de ce que personne n’aimerait voir ou admettre. Il est peut-être là le problème du phénomène « Chemsex » : personne ne veut prendre la chose vraiment au sérieux et accepter que oui, tout ça existe. Une oeuvre coup de poing qui marque au fer rouge et qui donne matière à réfléchir en même temps qu’elle bouleverse et traumatise.

Film produit en 2015 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3