FICTIONS LGBT
CHIEN PERDU de François Zabaleta : pixels d’amour
À chaque nouveau film, François Zabaleta nous propose une expérience de cinéma unique en son genre. Avec Chien perdu, il propose plus que jamais un voyage introspectif, méditatif avec en toile de fond la romance longue distance et virtuelle entre deux hommes.
François, cinéaste, et Luther, architecte, se sont rencontrés un jour par hasard dans la petite ville où vit François. Luther, américain en provenance de San Francisco et francophile, était juste de passage et est tombé sous le charme de celui qui n’était encore, comme lui, qu’un jeune homme. Luther était pour sa part déjà marié, refoulant une certaine bisexualité. François est devenu son premier amant masculin et ils sont par la suite restés en contact, cultivant une relation longue distance, progressivement digitalisée.
Le film s’ouvre alors qu’en voix off le personnage de François, qui fait office de narrateur, nous raconte que cela fait maintenant 19 ans qu’ils s’aiment. Un amour à part et secret. Un amour en décalé, différé. Ils se voient plus ou moins une fois par an quand cela est possible et sinon ils alimentent leur relation en s’envoyant des mails, des textos et autres MMS. François étant en France et Luther à San Francisco, le décalage horaire est une barrière supplémentaire. Ils se racontent l’un à l’autre au quotidien par messages interposés. Un drôle de lien, vécu de façon douce-amère par François car au-delà de la distance il y a le fait que Luther est marié, bisexuel et qu’il aime sa femme. François est quelque part l’homme de l’ombre, le secret, et il s’en accommode même si cela le ronge et tend parfois à le rendre un poil obsessionnel (on apprendra au cours du récit qu’il s’est par exemple rendu une fois dans l’université de la femme de Luther pour l’observer et échanger avec elle).
Cette trame romantique, mélancolique, pensée par l’auteur François Zabaleta comme une élégie peut paraître simple, presque linéaire de par sa thématique. Mais évidemment le cinéaste fait de son récit quelque chose de complètement singulier. Il reprend son dispositif habituel qui consiste à raconter cette histoire avec une voix off tout le long, un texte fort, interprété avec une voix guidant peu à peu vers une forme de relaxation et de méditation, d’introspection, et il mélange cela à des images qui parfois illustrent ce qui est raconté et qui a d’autres moments brouillent les pistes.
La forme ici provoque particulièrement un état de transe, nous donnant l’impression de partir dans les pensées, fantasmes romantiques et obsessions de son narrateur. Des surimpressions, des collages, des créations abstraites qui nous font ressentir la psyché du personnage de François. L’expérience est assurément troublante, par moments on ne sait plus du tout où l’on est (il y a des passages où le texte et les images ne font qu’un mais aussi des instants où le texte emporte notre attention alors qu’on greffe dessus nos propres images mentales et enfin d’autres où la forme attrape l’oeil nous plongeant temporairement dans un brouillard narratif car on se met à oublier les mots). Cet égarement ressenti par le spectateur colle parfaitement à l’état du personnage de François qui aime de plus en plus de façon dématérialisée, qui s’accroche à ce que Luther lui envoie, lui partage, aux souvenirs qui parfois peuvent paraître si lointains qu’ils en deviendraient des chimères.
On est tous un peu des chiens perdus de l’amour aujourd’hui et ce long-métrage fidèle à l’univers de François Zabaleta nous interroge joliment et en profondeur sur notre rapport à l’amour, au fait d’aimer, aux mots d’amour, au verbe aimer. L’amour c’est abstrait, l’amour peut vite devenir un fantasme, il est volatile. Et vécu par instants volés, par fragments, parfois on peut se demander si on le touche vraiment du bout des doigts ou s’il continue de nous échapper.
Film produit en 2021 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris