FICTIONS LGBT

CIAO de Yen Tan : le réconfort

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Andrea (Alessandro Calza), italien, envoie un mail à Mark (Chuck Blaum), américain vivant à Dallas et avec lequel il entretient depuis un long moment une correspondance sentimentale. Ils devaient se rencontrer pour la première fois « en vrai » et ainsi voir si le courant passait aussi bien entre eux que par écrans d’ordinateurs interposés. Mais c’est Jeff (Adam Neal Smith), le meilleur ami de Mark, qui répond : le jeune homme est mort dans un accident de voiture. Jeff s’excuse de lui annoncer cette terrible nouvelle et l’annulation du voyage qui va avec. Mais alors qu’il réalise qu’il étouffe sans son ami dans les parages et qu’il souffre d’une terrible solitude, Jeff renvoie un mail à Andrea en lui proposant de maintenir son voyage et de venir loger chez lui. L’italien accepte. Ils se retrouvent à l’aéroport, se font la conversation, apprennent à se connaître. Jeff, longtemps amoureux en secret de Mark, et qui hélas n’a jamais eu de retour (sauf le temps d’une nuit d’ivresse) se raconte à Andrea, bel inconnu, sensible. Si pour Jeff la mort de Mark laisse un grand vide, pour Andrea la frustration est de mise : il espérait tant de cette rencontre, c’est comme si la possibilité d’un grand amour lui avait été arrachée. Les deux hommes vivent un moment pénible, sont vulnérables. Ils parlent de Mark, puis d’eux. Petit à petit leurs regards croisés laissent entendre que quelque chose est en train de se passer. Ils se plaisent…

Avec Ciao, le réalisateur Yen Tan nous invite à suivre la rencontre de deux garçons le temps d’un week end. On pense à Before Sunrise de Richard Linklater ou Weekend d’Andrew Haigh, ces films durant lesquels un couple pourrait naître alors que le temps est compté. La spécificité de ce long-métrage est que la rencontre est provoquée par la disparition d’un autre garçon, le meilleur ami de Jeff et le potentiel amoureux d’Andrea. Le défunt Mark va ainsi alimenter la majorité des conversations, représentera un moyen de se lier, d’apprendre à se connaître. Jeff et Andrea se souviennent de lui, parfois les larmes aux yeux, tentent ensemble de lui dire adieu et se retrouvent chacun confronté au vide de la solitude. Jeff a beaucoup souffert du fait qu’il n’était pas « le style de mec » de Mark, bien qu’il ait fini par s’accoutumer du rôle de meilleur ami. Il n’a à l’évidence pas beaucoup confiance en lui, ne sait jamais vraiment comment se tenir. Andrea, italien à l’accent sexy et au physique très attirant, n’a pas plus de facilités : il vit dans une petite ville et n’a pas beaucoup d’opportunités de rencontres. Il apparaît comme une sorte de cadeau du ciel pour Jeff : séduisant, attentionné, curieux de le connaître, doux, livrant de nombreuses anecdotes montrant sa part de sensibilité. Mais c’est comme si Jeff ne pouvait croire à cette rencontre, comme s’il ne pouvait se dire que lui aussi peut plaire.

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C’est une rencontre délicate car il y a un cadavre au centre. Jeff comme Andrea pourraient se sentir coupables de se plaire alors que l’histoire n’était à la base pas écrite pour s’achever ainsi. Mais le destin en a décidé autrement. Plus le week end défile et plus l’attirance entre les deux garçons génèrent une tension. Oseront-ils aller l’un vers l’autre ? S’agira-t-il de réconfort mutuel, d’un possible commencement ou d’une love story avortée ? Le film joue la carte de l’ambiguïté, laissant les regards et les gestes maladroits des personnages nous donner quelques indications. Les dialogues sont très naturels et filmés de façon à ce que l’on se sente impliqué. C’est comme si nous aussi on rencontrait Jeff ou Andrea, qu’on se laissait peu à peu séduire, que l’on tombait amoureux. Cette grande empathie vis à vis de deux garçons ultra sensibles en quête d’amour donne à l’ensemble une intensité inattendue. Ainsi, si la trame de Ciao peut paraître classique de prime abord, le long-métrage finit bien par toucher intimement, à sa manière toute personnelle. Car dans le fond, chaque rencontre amoureuse est à la fois unique et passionnante.

Le charme et la vulnérabilité des comédiens s’allient à une mise en scène à la fois douce et maitrisée, donnant la sensation que la vie et le temps sont suspendus le temps d’un week end forcément pas comme les autres. Magie de deux regards qui se croisent, de deux solitudes qui se réconfortent, cruelle solitude, sensation d’être soudainement abandonné. Ciao est un petit film indépendant et élégant, assurément mélancolique, mais qui ne manque pas de faire du bien pour autant. Beau et triste comme une rencontre inachevée, comme une période de la vie qui s’achève, alors que tout reste à (ré)inventer.

Produit en 2008. 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3