FICTIONS LGBT

COLA DE MONO d’Alberto Fuguet : les miroirs du désir

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Premier film du réalisateur chilien Alberto Fuguet à arriver en France, Cola de Mono est notre gros coup de coeur de ce début d’année. Ce film à thématique gay a le mérite de surprendre, d’emprunter des chemins inattendus en même temps qu’il déploie une mise en scène tour à tour sensuelle, onirique et vertigineuse. Un vrai petit choc de cinéma à l’audace réjouissante.

Chili, année 1986. Le réveillon de Noël se profile dans la petite maison de Borja (magnétique Cristóbal Rodriguez Costabal). Cet adolescent fan de Stephen King vit seul avec son grand-frère Vicente (Santiago Rodriguez Costabal) et sa mère (Carmina Riego). Une mère aigrie et dure qui n’épargne jamais ses deux enfants, propageant ses idées sombres, leur balançant en plein diner de réveillon qu’elle aimerait qu’ils disparaissent. La petite famille a été ébranlée par un grand drame : le père de Borja et Vicente, un critique de cinéma, s’est suicidé alors qu’ils n’étaient que des enfants.

Le film s’articule autour de la journée clé du réveillon de Noël. L’après-midi est l’occasion de paresser, de lire, de jouer au ping pong, de préparer le cocktail de Noël, le Cola de Mono. La soirée tourne plutôt mal : Vicente quitte la table pour rejoindre, dit-il, une amie qui fête avec une « famille normale » ce moment spécial de l’année. La mère, ivre, va se coucher. Et Borjas profite d’être livré à lui-même pour entrer par effraction dans la chambre de son grand-frère mystérieusement fermée à double tour.

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Rupture de ton : alors que la première partie du long-métrage lorgnait du côté d’une langueur rappelant le cinéma de Marco Berger (avec une façon discrètement sensuelle, délicatement fétichiste et érotique de filmer son jeune personnage principal de la tête aux pieds), on bascule au coeur d’une nuit ultra sensorielle, moite, entre rêve et cauchemar où les influences irrésistibles abondent.

Alberto Fuguet nous plonge alors en plein trip cinématographique. Nous suivons parallèlement les nuits de Borja, tout excité de venir fouiner dans la chambre de son grand-frère et accumulant les découvertes pour le moins surprenantes, et du grand frère en question qui na va pas retrouver une amie comme il le prétendait mais plutôt s’aventurer dans les bois en quête de plaisirs entre hommes.

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Ce passage complètement surprenant est transcendé par une mise en scène qui atteint des sommets d’érotisme. Et Cola de Mono de devenir le portrait croisé de deux frères qui abordent leur homosexualité de façon complètement opposée. Le premier est comme un gosse au pays des merveilles, en pleine découverte hédoniste de ses désirs. Le second a l’impression de baigner dans le péché, est honteux et persuadé d’être victime d’une malédiction. Explosion des sens, violence et secrets de famille qui explosent : nous voilà embarqués au coeur d’une spirale irréelle, charnelle et infernale dont l’issue lorgnant du côté du film de genre laisse sans voix. L’ensemble, d’un homoérotisme sulfureux et sidérant, est d’autant plus troublant que les deux frères à l’écran sont de vrais frères dans la vie.

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Mais Cola de Mono ne s’arrête pas là, proposant un dernier tiers encore plus étourdissant. Loin de cette nuit inoubliable et traumatisante, nous retrouvons le personnage de Borja en 1999 tentant tant bien que mal de faire face à ses démons. Nous le suivons en pleine déambulation dans un sauna gay aux couleurs enivrantes. La mise en scène fait songer à un étrange et hypnotique mélange entre Pink Narcissus et le Cruising de Friedkin. A noter que dans ce nouveau passage, le personnage de Borja adulte est interprété par l’acteur qui jouait son grand-frère. Le jeu de miroir continue de se prolonger de façon troublante et obsédante…

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A travers ses deux frangins contraires et la figure fantomatique d’un père cinéphile se dessine, des années 1980 à l’aube des années 2000, une façon complexe d’aborder le désir. Un désir comme une malédiction, un poison qui entraîne les garçons vers des jeux dangereux. A chaque fois que se profile la chair, un objet tranchant n’est jamais loin.

Alberto Fuguet livre ici une oeuvre originale, pleine à craquer de cinéma, qui mêle habilement la sensibilité d’une oeuvre intimiste et le frisson et les ténèbres d’un film de genre. Le tout accompagné d’un homoérotisme noir poussé au maximum. Autant dire que Cola de Mono a tout pour devenir un film culte.

Film produit en 2018 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3