FICTIONS LGBT

DER SAMURAI de Till Kleinert : explosion dans la nuit

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Une petite bourgade en Allemagne. Jakob (Michel Diercks) est un commissaire de Police un brin secret et renfermé sur lui-même. Ses parents sont morts, il vit seul avec sa grand-mère. Depuis quelque temps, un loup terrorise sa ville qui jusqu’alors restait sans histoires. La bête dévaste les rues et ses hurlements au milieu de la nuit suscitent la stupeur. Discrètement, le flic dépose régulièrement de la nourriture dans la forêt pour calmer la créature.

Son quotidien très rangé bascule quand un jour il reçoit un énigmatique colis qui lui est adressé en le désignant comme un « Loup solitaire ». La nuit qui suit, alors qu’il s’apprête à ouvrir le paquet, il reçoit un mystérieux coup de fil. Il s’agit d’un homme qui semble l’épier et qui veut entrer en contact avec lui afin de récupérer le colis qui, dit-il, lui est adressé. Il lui donne rendez-vous.

Quand Jakob le rencontre, il est pour le moins surpris : l’homme est travesti en femme, a une mine terrorisante. Et quand l’inconnu ouvre le paquet, il en sort un énorme sabre. C’est le début d’une longue nuit de folie, oscillant entre cauchemar et révélations, au cœur de laquelle Jakob va se confronter à ses pulsions les plus sombres…

der samurai film till kleinert

Présenté à la Berlinale 2014, Der Samurai fait partie de ces films qui entendent bien dérouter le spectateur, l’entraîner dans un ailleurs où petit à petit le réel et le fantasme se mélangent pour semer la confusion. Une œuvre qui échappe aux étiquettes, aux allures d’exercice de style, qui n’a pas peur de prendre des risques, de bousculer. Se déploie d’emblée une atmosphère très étrange. On sent que le personnage principal, lisse et taciturne, contient un mal être prêt à exploser. Vivant seul avec sa grand-mère, évoluant dans une petite ville déprimante où il n’y a jamais grand chose à faire, où tous les jours se ressemblent, n’ayant aucune vie sentimentale : tous les éléments propices à une crise existentielle ou de nerfs sont réunis.

Dès les premières minutes, le réalisateur Till Kleinert déploie des images provoquant des émotions et sensations contradictoires. Jakob est clairement ambivalent, cache, refoule, et sa rencontre avec le Samouraï, figure se situant entre une hallucination surnaturelle et un Doppelgänger, va l’amener à progressivement évacuer toute sa frustration, ses envies noires les plus enfouies.

Avec beaucoup de souffle et de maîtrise, ce long-métrage audacieux se joue des codes du film de genre, nous entraînant dans une nuit extrêmement tendue, flirtant avec l’horreur. Une sorte de cauchemar éveillé, de conte intemporel et pervers, où le fantastique se mêle au drame psychologique. C’est joliment barré, non dénué d’humour mais aussi empreint d’une véritable sensibilité, d’un érotisme morbide. Michel Diercks, interprète de Jakob, est absolument magnétique, filmé avec beaucoup de sensualité alors qu’il révèle peu à peu sa part de bestialité en opposition à son partenaire de jeu machiavélique, Pit Bukowski, absolument flippant et jouissif dans la peau d’un Samouraï travesti se plaisant à décapiter tout un tas de gens plus ou moins innocents.

La mise en scène est vertigineuse, le travail sur le son très réussi, on bascule en plein trip où subitement le réel n’a plus aucune prise. De la pure fiction qui nous emmène très loin, qui nous prend au corps et qui livre une variation captivante sur l’identité, le refoulement, la violence. Une vraie curiosité… et une totale réussite.

Film sorti en 2015. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3