CINEMA

DÉTOUR de Edgar George Ulmer : pas de chance

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Al Roberts (Tom Neal) est pianiste. Il joue dans un bar dans lequel se produit également la femme qu’il aime, Sue (Claudia Drake). Chanteuse, cette dernière rêve de gloire et décide de tout quitter pour aller tenter sa chance en Californie. Pour Al, ce départ est un véritable coup de massue. Un soir, il décide d’aller la retrouver. Un homme, Charles Haskell Jr., l’accueille dans sa voiture alors qu’il fait de l’auto-stop. Ils conversent, l’inconnu se révèle être un petit escroc. Fatigué, il laisse à Al le contrôle de la voiture.

Au milieu de la nuit, alors que la pluie commence à tomber, le pianiste fait un arrêt pour remettre la capote sur le véhicule. C’est alors qu’il découvre que Haskell vient de mourir dans son sommeil. Paniqué, il se débarrasse du cadavre et poursuit sa route. Le lendemain, il accepte de faire monter à bord une charmante auto-stoppeuse, Vera (Ann Savage). Coup du sort : il s’avère que la jeune femme connaissait Charles Haskell Jr ! Menaçant Al d’appeler la Police, elle le force à la suivre dans son périple et à faire tout ce qu’elle désire. Quand elle lui demande de se faire passer pour le défunt afin de toucher un héritage, l’artiste maudit ne sait plus quoi faire…

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Adaptation du roman éponyme de Martin Goldsmith, Détour nous entraîne dans une petite bourgade américaine où, dans un diner, Al Roberts traîne sa mine déconfite. Nous sommes face à un homme à bout qui va nous raconter en voix off sa descente aux enfers. Romantique et bienveillant, le pianiste a une sacrée poisse et manque de sang froid. Portrait d’un homme qui subit, qui se laisse accabler par le cours des choses, le film a été réalisé en seulement 6 jours avec un budget dérisoire. Cela se ressent hélas souvent à l’écran et le projet apparaît parfois comme un peu brouillon, en dessous de la maîtrise que l’on peut espérer pour un film noir. Cela ne l’empêche pas d’être assez élégant et la mise en scène distille quelques beaux plans et belles idées de temps à autre. Mais surtout, ce qui captive ici est l’atmosphère cauchemardesque. De jour comme de nuit, le personnage principal semble pris dans une spirale infernale. Le destin s’acharne sur lui et il n’a pas assez confiance en lui, de jugeote ou de courage pour tenter de remonter la pente. Il panique, accumule les erreurs.

Le drôle de climat qui se déploie à l’écran, porté par des musiques jazzy, romantiques, mélancoliques, rend l’ensemble on ne peut plus séduisant. Et quand Ann Savage fait son apparition dans la peau d’un personnage de garce cruelle et hystérique, la tension monte sérieusement. Jusqu’où Al Roberts se laissera dériver ? En filigrane, ce long-métrage renvoie chaque personnage à ses responsabilités et livre une variation intéressante sur le bien et le mal : jusqu’à quel point peut-on blâmer le destin ? Comment peut-on rester soi-même, agir convenablement, quand le pire nous tombe dessus ? A défaut d’être un chef d’oeuvre, cette tentative fauchée qui ne manque pas de personnalité laisse une certaine empreinte.

Le film, sorti en 1945, est disponible légalement en streaming sur Internet avec des sous-titres français

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3