CINEMA
DEUX JOURS, UNE NUIT de Jean-Pierre et Luc Dardenne : l’essentiel
Alors que son arrêt maladie (pour dépression) s’achève, Sandra (Marion Cotillard) s’apprête à reprendre le travail. Mais un coup de fil vient changer la donne : l’une de ses collègues et amie l’informe qu’un vote à eu lieu. Les employés ont dû faire un choix entre garder leur prime de 1000 euros ou garder Sandra dans leur équipe. Ils ont préféré la prime.
Dévastée, sachant bien que le seul salaire de son mari ne pourra leur permettre de continuer à payer la maison qu’ils viennent d’acheter pour y vivre enfin tranquillement avec leurs enfants (ils étaient auparavant dans un logement social), Sandra est prête à rechuter. Son mari tente de la convaincre de se battre. La rumeur voulant que l’initiateur du vote ait mis la pression à certains en leur faisant comprendre que si ce n’était pas Sandra qui allait être licenciée, ce serait peut-être quelqu’un d’autre, ils ont fait leur choix dans une relative peur.
Poussée par son amoureux et son amie, Sandra va donc demander à son patron de reprendre le vote. Ce dernier accepte. Nous sommes vendredi et Sandra n’a que le week end pour inverser la situation (le vote reprendra le lundi matin). Elle entreprend une mission des plus délicates : aller voir chacun de ses collègues, un à un, pour tenter de les convaincre de renoncer à leur prime pour lui permettre de garder sa place …
Deux jours, une nuit ne détonne pas dans la filmographie des Frères Dardenne. Une oeuvre cohérente dans une filmographie au plus près de l’humain, mêlant social et intime. Cette fois nous suivons le temps d’un intense week end une femme vulnérable qui va apprendre à se battre. La situation est perverse, son entreprise ne laisse pas le choix à ses employés : ils vont devoir choisir entre leur intérêt personnel (une prime de 1000 euros) ou la solidarité (« sauver » une collègue en difficulté). On laisse les plus faibles se déchirer entre eux… C’est d’autant plus cruel que si Sandra est celle qui est sur un siège éjectable c’est parce qu’elle a été en arrêt maladie. On tente de se débarrasser du moins performant, subtilement on lui fait comprendre que même en son absence le travail a été fait, insinuant ainsi qu’elle est inutile. Pour quelqu’un qui vient juste de se remettre d’une dépression, la pilule est forcément difficilement à avaler…
Dans un premier temps, Sandra a envie de baisser les bras, de se replier sur elle-même. C’est grâce à l’obstination de l’une de ses collègues et de son mari qu’elle va accepter de ne pas s’avouer vaincue. Elle va trouver la force de demander aux autres de l’aide, de mettre au placard sa fierté. Un exercice difficile, qui va avec une désagréable sensation de faire la manche, de faire pitié. Le premier collègue à qui elle ose s’adresser est Kader, pas disponible pour la voir mais souhaitant s’entretenir avec elle par téléphone. Il lui répond qu’il accepte de renoncer à sa prime, ce qui ne manque pas de submerger Sandra d’émotion, de lui donner de l’espoir et un peu plus de force pour aller à la rencontre des autres.
Le week end sera difficile : il faudra répéter constamment la même chose à tout le monde, sans craquer, essayer d’argumenter sans en faire trop, accepter les refus… Ce combat est l’occasion pour la jeune maman de pénétrer un peu plus dans la vie de ceux qui pour la plupart n’étaient que de vagues connaissances. Face à un sujet sensible, une demande délicate, les masques tombent. Il y a ceux qui disent non de suite, ceux qui refusent de lui parler, ceux qui hésitent en demandant ce qu’ont décidé les autres, ceux qui disent non puis oui… De quoi donner lieu à de véritables montagnes russes émotionnelles, provoquer des moments bouleversants de solidarité ou au contraire des passages déchirants où l’individualisme et la violence sautent au visage.
On pouvait être sceptique face à la présence de Marion Cotillard, devenue une star internationale un peu irréelle, dans l’univers des Dardenne. Si les premiers passages sont riches en larmes, que son travail pour avoir un accent belge peut un peu faire glousser, force est de constater que c’est bien, outre la belle sobriété de la mise en scène et une écriture remarquable, grâce à elle que le film atteint des sommets d’émotion. On oublie la star pour découvrir un personnage d’une fragilité bouleversante.
Jusqu’à un final magnifique, le film ne s’arrête pas de replacer l’humain au centre. A travers le travail mais pas que. Les liens amicaux et l’amour sont aussi abordés et plus que jamais on ressort de la salle avec l’envie d’aimer les gens, proches ou moins proches, qui nous entourent, de les comprendre, avec l’envie de se battre pour ce qui est juste. Un film qui rappelle l’essentiel.
Film sorti en 2014 et disponible en VOD