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Divine Paiste, Crystal waves on a frozen lake : un nouveau monde

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Après des années à se faire les dents sur scène, à composer et peaufiner, les Divine Paiste ont accouché en mai dernier de leur premier album, Crystal Waves On a Frozen Lake. Et c’est une claque à tous les niveaux. Alors que les quatre garçons en provenance de Tours avaient habitué leur public à des sonorités très rock, leur disque va bien au-delà d’un genre unique. Certes, la puissance des guitares est bien au rendez-vous mais elles vont de pair avec un chant sensible et des envolées pop renversantes. La pochette, cinématographique en diable, annonce la couleur : cet album-là ne sera pas comme les autres. C’est une vraie aventure qui nous est ici proposée, la sortie de l’album étant accompagnée d’un film réalisé par le collectif Double Pigeon. Le pari (financé en partie par les internautes via Kiss Kiss Bank Bank) était risqué : la musique est bien souvent le territoire de l’abstraction, la porte ouverte à tous les fantasmes. Associer chaque morceau à des images pouvait s’avérer potentiellement encombrant. Quand on ressort de la vision du métrage, on a le sourire aux lèvres : le défi a été relevé haut la main.

Divine Paiste ne se contente pas d’être un groupe pop-rock de plus. Si chacun de leur titre est à la fois dense et efficace, il s’en dégage surtout une énergie peu commune, une véritable dramaturgie. Native Echoes constitue une magnifique ouverture, entraînante et sensible. Boreal lui succède et nous fait sacrément décoller. Maîtrise et beauté, la piste nous donne l’impression de nous réveiller d’un long sommeil et de redécouvrir le monde. Les voix se mélangent à merveille, on a la sensation que chaque mot qui sort de la bouche d’un de ces garçons est une question de vie ou de mort, un cri du cœur. On se laisse volontiers électriser (Major Manor) et secouer (Vandal). On est ébloui par des chansons qui déjouent les attentes (Strobe Love qui laisse s’épanouir les claviers pour une belle envolée / le cœur d’Oblivion’s Land grâcieux et bouleversant). Et surtout, on est on ne peut plus fasciné par l’aisance et la maîtrise du groupe, gardant sa cohérence tout en faisant de chaque morceau un chapitre, un terrain de jeu dont ressortent des mélodies ensorcelantes (le superbe passage instrumental Bruit blanc, le rock et délicat Blue Lagoon ou le tubesque Dust in the wild). Plus que jamais l’imaginaire est stimulé : on a envie de bouger tout en rêvant les yeux grands ouverts.

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Comme si la qualité du disque ne suffisait pas, le film est lui aussi une franche réussite. Tourné entre la Corrèze, Tours et la dune du Pyla, il dévoile le récit aussi poétique que politique que les Divine Paiste ont écrit eux-mêmes, en même temps qu’ils composaient leurs morceaux. L’histoire de quatre garçons qui se retrouvent à fuir un ordre établi, avec une pensée unique imposée. Un premier garçon essaie de s’en sortir par lui-même, parcourant seul la forêt, affrontant l’hiver. Il est recueilli par un autre rebelle qui devient immédiatement son ami. Ils iront délivrer deux autres jeunes qui étaient jusqu’alors soumis aux « forces obscures ». Et ensemble ils tenteront de bâtir une opposition, une autre tribu. On voit le formatage des enfants dès le plus jeune âge, on se laisse impressionner par la figure d’un homme sans visage, on assiste au spectacle à la fois poétique et morbide d’une jeunesse aveuglée qui par désespoir abandonne sa singularité avant de se noyer. Rêve d’un nouveau monde, de liberté. Avant de pouvoir s’affirmer comme un individu à part entière, il faudra jouer la carte du collectif. Les rebelles s’entraînent, se préparent à passer à l’attaque mais la partie se révélera bien plus rude que prévue. Finalement les quatre rescapés se joindront à une autre tribu rebelle , gouvernée par un enfant. Ils la contamineront sans vraiment s’en rendre compte, reproduisant le même schéma du système qu’ils étaient en train de fuir. Difficulté de repartir à zéro, de tenter de se réaliser tout en laissant une place à chacun de s’exprimer, d’exister. L’histoire est grandement universelle, parle aussi bien d’une jeunesse en quête de repères que d’une musique indépendante qui tente d’émerger alors que l’industrie du disque est déjà à moitié enterrée et que la concurrence sur la scène indépendante est on ne peut plus impitoyable. Les décors naturels insufflent à l’ensemble une grande poésie. Et si le premier album de Divine Paiste a été composé comme un scénario de film, le film, lui, est joliment mélodique, porté par le souffle de liberté de la musique. Le projet impose sa propre mythologie avec ses mystérieux poivrons aux effets variables, ses boîtes renfermant les âmes d’une jeunesse qui a baissé les bras, sa fumée colorée, sa poussière qui brille et endort. Et, petit plus (qui n’était peut-être pas forcément voulu), un certain homo-érotisme à travers le récit de ces jeunes hommes perdus, en quête d’eux-mêmes, et qui trouvent du réconfort par le biais d’amitiés viriles.

Il y a une telle ambition et une telle inspiration chez Divine Paiste qu’il est difficile ne pas en tomber amoureux. Plus qu’un groupe, c’est un nouvel univers qui nous est offert avec la sortie de Crystal Waves on a Frozen Lake. A découvrir et à suivre.

Le film :

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3