CINEMA

DOUX OISEAU DE JEUNESSE de Richard Brooks : devenir quelqu’un

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Chance Wayne (Paul Newman) revient dans sa ville natale accompagné d’une célèbre actrice, Alexandra Del Lago (Geraldine Page). Ils arrivent dans une superbe voiture,  logent dans la suite d’un bel hôtel…L’occasion pour Chance de prouver qu’il est enfin devenu quelqu’un ? Jadis, il n’était qu’un « simple barman » et le père de sa petite amie de l’époque, la belle Heavenly (Shirley Knight), lui avait fait remarquer qu’il fallait qu’il tente sa chance, qu’il ait plus d’ambition pour la mériter. Chance revient aujourd’hui pour récupérer Heavenly et l’emmener avec lui à Hollywood. Mais la revoir ne sera pas une mince affaire : son père (devenu un puissant homme politique au bras très long) faisant tout pour empêcher les retrouvailles.

Les apparences sont quoi qu’il en soit trompeuses : contrairement à ce qu’il essaie de faire croire à tout le monde, Chance n’a pas du tout percé à Hollywood. Il n’est devenu qu’un garçon de plage. Et s’il est avec Alexandra Del Lago, c’est uniquement parce qu’il a profité de son état de faiblesse et l’a plus ou moins enlevée, ayant dans la tête un plan pour la faire chanter. Il espère en effet l’enregistrer en train de confier qu’elle prend de la drogue et obtenir d’elle en échange un rôle dans un film. Mais rien ne se passera vraiment comme prévu,  Alexandra Del Lago n’étant pas du genre à se laisser manipuler facilement, même quand elle est au bout du rouleau. Chance parviendra-t-il à reconquérir Heavenly ? Réussira-t-il à obtenir une place à Hollywood ?

doux oiseau de jeunesse film

Adaptation de la pièce de Tennessee Williams (reprenant à l’écran ses deux stars Paul Newman et Geraldine Page), Doux oiseau de jeunesse (Sweet Bird of Youth en VO) est un très beau film classique. Une œuvre à vif qui brasse des thèmes qu’on devine chers à leur auteur. Devenir quelqu’un : obsession propre à beaucoup d’hommes et d’autant plus décuplée sur le sol de l’ American Dream. Chance Wayne se plaisait bien en barman mais le père de son amoureuse lui a mis dans la tête qu’il n’était rien, qu’il fallait qu’il tente sa chance pour devenir « grand ». A partir de là, pour Chance ce sera la descente aux enfers, il ne cessera plus de courir après un rêve inatteignable, accumulera les refus à Hollywood et refusera d’admettre son échec. Heavenly s’en fiche pourtant qu’il soit riche ou célèbre. Tellement accaparé par ses objectifs démesurés, Chance passera peut-être à côté de l’amour de sa vie, passant son temps à fuir pour tenter d’accomplir une carrière.

Le succès à tout prix ? Chacun cherche ici en effet à briller, à être perçu par les autres comme une sorte de héros. Le père d’Heavenly, homme politique surnommé « Le Grand Finley » ne reculera devant aucun moyen pour être assuré de sa réélection, pour garder son image de marque. Quitte à être corrompu, quitte à céder à la violence. Alexandra Del Lago, star sur le déclin, sombre dans l’alcool suite à une avant-première désastreuse de son dernier film où elle apparaît plus vieille que jamais. Elle veut alors tout oublier, s’oublier elle-même, refusant d’admettre qu’elle n’est plus la divine star d’Hollywood que tout le monde admirait et s’arrachait. A l’exception d’Heavenly et de sa tante Nonnie, tous les personnages courent après la gloire et s’y perdent. Ils sont incapables de composer avec l’échec, d’admettre que personne n’est parfait et que la réussite sociale ne fait pas tout.

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Pendant ce temps, comme le titre de la pièce et du film l’indiquent, le temps passe. Le succès ne durerait qu’un temps et la chance tourne. Le jeune Wayne commence à vieillir et perdra bientôt sa beauté, son seul atout pour percer à Hollywood, son gagne pain (on finit par comprendre qu’il joue de temps en temps au gigolo). Tellement obstiné à vouloir réussir pour épater Heavenly, Chance Wayne l’a finalement délaissée. Il s’est éloigné de tout l’amour qui l’entourait et une fois qu’il en prendra conscience il sera peut-être trop tard.

A la fois très classique dans sa mise en scène (à noter quelques jolis fondus enchainés qui permettent aux personnages de se replonger dans leur passé) , le film se révèle parfois très dur et met en lumière des personnages désaxés et torturés. Difficile de ne pas tomber sous le charme, Paul Newman (tout simplement magnifique, comme à chaque fois) et Geraldine Page faisant des étincelles. Seul bémol : les amateurs de la pièce originale regretteront que cette adaptation soit beaucoup plus lisse que l’original (la fin et d’autres éléments sulfureux ont complètement été changés pour offrir au spectateur une sorte de happy end et ne pas trop choquer – si l’adaptation avait été fidèle on aurait tenu un véritable chef d’œuvre).

Film sorti en 1962 / Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3