CINEMA

DU HAUT DE LA TERRASSE de Mark Robson : revanches

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Philadelphie, 1946. Alfred Eaton (Paul Newman) rentre de la guerre et retrouve ses parents. Des retrouvailles hélas loin d’être heureuses. Quelques années auparavant, le frère d’Alfred, et fils préféré de son père, est mort. La famille ne s’en est pas remise : le père ne témoigne à l’enfant qu’il lui reste aucun crédit et la mère, dépressive, noie son chagrin dans l’alcool et à travers une liaison avec un homme qui la malmène.

Comprenant qu’il est impossible d’établir une communication avec ses géniteurs, Alfred refuse la proposition de travailler pour l’entreprise familiale et prend le large. Envisageant de s’installer à New York, il passe la majeure partie de son temps avec son plus fidèle ami, Lex. Ils ont en chantier un projet pour monter une compagnie aérienne.

Au hasard d’une soirée, le séduisant Alfred s’éprend d’une blonde inconnue, Mary St. John (géniale Joanne Woodward). La belle est déjà fiancée mais ne repousse pas complètement ses avances. Ils se revoient et Alfred parvient à séduire le père de celle qu’il compte épouser même s’il vient d’un milieu moins riche que le sien (le beau-papa se fait en réalité plus conciliant quand il apprend que le père d’Alfred a fait une crise cardiaque et qu’il pourrait finir par rapidement céder ses biens à son fiston) . Sans trop d’état d’âme, Mary oublie son fiancé et se marie avec Alfred. Le jour des noces, le père de ce dernier décède. Un événement de mauvais augure pour la suite ?

Traumatisé par un paternel qui ne l’a jamais estimé, l’ambitieux businessman est obsédé par l’idée de prendre sa revanche, « devenir quelqu’un », dépasser son modèle qui ne lui a témoigné qu’un vague dégoût de lui-même. Il se perd ainsi dans le lancement de sa compagnie aérienne, négligeant complètement son épouse qui commence à s’impatienter seule au foyer (d’autant plus que leur intimité charnelle est quasi-inexistante). Alors que les choses se corsent professionnellement (il découvre que son associé et ami Lex ne prend pas en considération son avis pour une multitude de décisions qui pourraient être capitales), un incident vient changer la donne.

En balade avec Mary, Alfred aperçoit un petit garçon sur le point de se noyer au milieu d’un lac gelé. Il lui sauve la vie et il s’avère que le bambin n’est autre que le petit fils de MacHardie, un riche homme d’affaires qui va proposer à Alfred un nouveau poste. Mary espère que cette opportunité lui permettra d’avoir plus de temps libre pour se consacrer à elle. Mais c’est l’inverse qui se produit. Complètement délaissée, l’épouse ,rongée par l’ennui et la colère, finit par reprendre contact avec son ex fiancé avec lequel elle entame une liaison.

A force de repousser ses limites au travail, Alfred oublie l’essentiel, n’est plus que l’ombre de lui-même. Arrivant à un stade où il n’y a plus que sa carrière qui compte, presque blasé, il parvient toutefois à baisser les armes quand il fait la rencontre de Natalie Benzinger (Ina Balin), fille simple de la campagne, qu’il croise au détour d’une mission. Il réalise alors ce qu’est vraiment l’amour. Mais a-t-il vraiment le temps et la possibilité d’aimer ? Pourra-t-il envisager de divorcer ? Est-il prêt à délaisser sa carrière, ses rêves de grandeur pour suivre son coeur ?

du haut de la terrasse film

Drôle de film que ce méconnu Du haut de la terrasse (From the Terrace en VO). La première scène nous présente la mère d’Alfred, retrouvée ivre morte dans un train. Le ton est donné : le film portera avant tout sur des personnages adeptes de l’autodestruction, entretenant avec eux-mêmes et les autres des rapports conflictuels, complexes. La mise en scène est élégante, le casting excellent et le scénario particulièrement feuilletonesque. En effet, ce long-métrage de Mark Robson dure près de 2h30 et c’est à une succession de retournements et autres drames intimes auxquels nous sommes invités. Alcoolisme, compétition, mort, amour, adultère… Vaste programme pour un mélodrame étonnamment pervers et riche en personnages torturés.

Alfred, de retour de la guerre, est obsédé par l’idée de réussir, de se prouver à lui-même que son père avait tort de ne pas voir en lui une personne digne d’intérêt. S’engouffrant dans cette quête, il va peu à peu devenir tout ce qu’il ne voulait pas être. Un mauvais mari, distant, ne trouvant plus rien qui ne le fasse vibrer dans sa vie… jusqu’à un nouvel amour. Le couple explosif formé par Paul Newman et Joanne Woodward mérite à lui seul de se pencher sur ce classique rare.

du haut de la terrasse film

Apparaissant au premier regard comme la femme idéale, une vraie petite princesse, Mary se change peu à peu en véritable garce. Blessée du désintérêt relatif de son époux à qui elle souhaitait consacrer toute sa vie, elle n’en finit plus de vouloir se venger. Elle le trompe, salit sa réputation, finit par vouloir le garder en otage. A force de vouloir prendre des revanches, chacun n’en finit plus de se heurter lui-même. Une véritable spirale infernale. La love story du début de métrage se mue en affrontement vénéneux.

C’est une Amérique peu glorieuse qui nous est ici présentée, où l’obsession de la réussite et de l’argent font tourner la tête, où les hommes s’empêchent de vivre à force de vouloir être fiers de ce qu’ils accomplissent au bureau, où tout le monde se manipule et se jalouse. Alors qu’après s’être complètement replié sur lui-même Alfred retrouve l’amour dans les bras d’une femme aux intentions pures, son patron tente de le dissuader de divorcer, disant être attaché aux traditions. Il lui faudra au final choisir entre sa carrière ou l’amour…

du haut de la terrasse film

Il émane de Du haut de la terrasse une cruauté, un côté un peu hystérique, sombre, cynique. Soit tout le plaisir d’un véritable soap opéra allié à l’esthétique des mélos classiques (avec ce qu’il faut de romantisme au bout du chemin). Ca déborde et ça se perd par moments mais c’est franchement culotté pour l’époque et d’une certaine modernité. Et Paul Newman est, comme toujours, aussi bon acteur que diablement séduisant…

Film produit en 1960 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3