FICTIONS LGBT
EGOIST de Daishi Matsunaga : misères
Egoist (Egoisuto en VO) de Daishi Matsunaga est une véritable pépite et un film du type « Boys’ Love » étonnamment noir.
Japon. Après une adolescence compliquée en milieu rural lors de laquelle il a perdu sa mère, Kôsuke (Ryohei Suzuki) a su rebondir. Véritable self-made man, il tient aujourd’hui un magazine de mode et vit confortablement dans un très bel appartement. Lors d’une soirée avec des amis gays, on lui recommande un jeune coach sportif mignon. Kôsuke a justement envie de se remettre en forme. Dès sa première rencontre avec le coach, Ryûta, on sent chez lui une forme d’attirance. Il est attiré et aussi touché par ce jeune homme qui a l’air de se démener pour joindre les deux bouts et s’occuper de sa mère qui n’a elle aussi pas beaucoup d’argent.
Rapidement, les sessions de coaching tournent au flirt et Kôsuke se met à faire des petits cadeaux à Ryûta. Dans un premier temps gêné, il finit par accepter. Et quasiment en même temps commence une liaison entre eux. Au fil des semaines, la relation s’intensifie se muant en véritable passion charnelle et les cadeaux de Kôsuke se multiplient. Mais voilà que Ryûta décide de mettre un terme à leur relation car elle l’empêche d’exercer son activité secrète d’escort : dur de continuer de coucher avec des inconnus alors qu’il ressent désormais des sentiments pour quelqu’un explique-t-il. Incapable de laisser s’échapper le seul garçon pour lequel il a des sentiments depuis longtemps, Kôsuke se met en tête de le sauver en « l’achetant ». Il lui propose de lui verser un salaire mensuel, de l’aider à travailler normalement s’il accepte de se remettre avec lui et de ne plus être escort. Ryûta accepte.
Les semaines qui suivent, leur relation décolle, bien que l’argent continue de circuler entre eux de façon troublante. Ryûta présente même Kôsuke à sa mère (qui ignore qu’il est gay). Mais le destin pourrait bien s’en mêler…
L’acteur Ryohei Suzuki incarne à merveille un personnage principal complexe et ambivalent dont on n’arrivera jamais jusqu’à la fin à déterminer s’il est bon ou mauvais, en carence affective ou empreint d’une folie bien cachée. Armé d’un scénario extrêmement fin et précis, Egoist avance doucement, l’air de rien, laissant le spectateur naviguer au sein d’un début de romance un peu bizarre. Il n’est en effet pas normal que l’argent ait une place aussi importante quand des liens commencent à peine à se nouer. On se demande alors où tout cela va bien pouvoir nous amener, si Ryûta est véritablement sincère…
Même le spectateur le plus observateur aura du mal à deviner ce vers quoi l’intrigue nous emmènera. Le deuxième acte frappe fort, brutalement, et laisse la noirceur et la toxicité de l’argent mêlé aux sentiments prendre le dessus. Le titre ambigu du long-métrage prend alors petit à petit tout sons sens. A la misère affective s’oppose la misère sociale, donnant lieu à des situations intenses, inconfortables, qui soulèvent un certain nombre d’interrogations.
Le jeu d’acteurs est minutieux, autant que l’écriture et la mise en scène qui nous fait passer d’une romance dont on a peur qu’elle soit trop belle pour être complètement réelle à un vertige existentiel pour le moins vénéneux. Alors que défile le générique de fin, tous les personnages restent quelque part une sorte d’énigme, laissant le mystère nous hanter et nous travailler.
Film sorti au Japon en 2023 et présenté en clôture du Festival Chéries Chéris 2024 / Film également projeté jusqu’au 15 décembre 2024 dans le cadre du Festival « les saisons Hanabi »